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donnant point de prise aux susceptibilités administratives. C’est que derrière chacune de ces candidatures il y avait une force qui lui était propre, ou un industriel employant plusieurs milliers d’ouvriers, ou un avocat disposant d’une nombreuse clientèle, ou un agronome âme de tous les comices, et chez tous une confiance qui avait résisté aux épreuves des plus mauvais jours. Quelle dépense d’activité représentaient ces réussites! Que de chaumières visitées, que de services rendus! C’était le prix de dix ans d’attente et de persévérance; il avait fallu s’emparer de la circonscription commune par commune, maison par maison, presque âme par âme, veiller ensuite sur cette conquête d’un œil jaloux, empêcher que rien ne s’en détournât. Dans tout cela, il n’y avait ni conseils à prendre ni amis à recruter, la loi ne tolérait qu’une action individuelle. C’était aussi pour eux-mêmes qu’on élisait ces premiers opposans; l’investiture était directe du moins, tandis que dans la phalange officielle elle était de seconde main. Il est à croire que dans les élections qui vont s’ouvrir les choses suivront à peu près le même cours avec le droit de réunion de plus et le régime de l’avertissement de moins pour la presse politique.

Est-ce à dire pourtant que ce soient là un mécanisme électoral à souhait et de bonnes mœurs électorales ? Nullement. Point de grand courant politique, des choix adaptés à un milieu où l’on ne paraît avoir ni la conscience ni le souci de la valeur des noms, point d’entente, point de lien entre les circonscriptions. Aussi que se passe-t-il? A force de rétrécir le cadre des candidatures, on en est arrivé à manquer de sujets et à laisser beaucoup de localités dépourvues. Naguère encore trois élections ont eu lieu sans qu’un simulacre de contestation vînt les animer. On dirait que le sens politique nous manque, et que nous ne savons pas même user des droits qu’on nous a rendus. Au fond, rien de moins étonnant; nous portons la peine d’une longue désuétude, et c’est d’hier seulement que nous avons recouvré en partie la faculté de nous mouvoir. Plus on ira, plus on sentira le besoin de fortifier l’inspiration locale, excellente en soi, et de lui venir en aide quand elle n’a pas d’aspirans sous sa main. C’est la condition d’un régime libre qu’à côté de l’homme qui l’approuve le gouvernement trouve un homme qui le combatte. La France a son éducation politique à refaire, longue et rude besogne avec le suffrage universel. Il importe d’introduire quelques notions de droit public là où elles ne semblent pas très susceptibles de pénétrer, de voir, au milieu des brigues qui s’agitent, quel parti on peut tirer du paysan, qui jusqu’ici les a tenues pour hostiles à ses intérêts. Bien réglée, sa force d’inertie deviendrait un contre-poids aux plans d’action où l’ouvrier se complaît, et pourrait offrir aux communautés en péril une planche de salut. Le paysan, lui, n’a