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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/492

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rendre une circonscription plus docile il en arrange à son gré les élémens, distrait des communes, déplace des cantons et des sections de canton, les envoie d’un coup de raquette du midi au nord, de l’est à l’ouest. Ainsi à Nantes il découvre dans un coin du département un faisceau de communes mal disposées pour un député qui leur déplaît; à l’instant il les réunit au chef-lieu par la plus extravagante des enjambées. De même à Toulon, et ce n’est pas le moindre motif de l’échec que l’opposition y a essuyé. Dans la ville, dans les riches vallées qui l’environnent, le dépouillement est favorable à l’opposition; mais voici qu’au dernier moment, dans deux cantons alpestres, Rians et Roquebrussane, placés aux confins de l’arrondissement et qui y ont été rattachés par artifice, un déplacement de 2,500 voix se produit : c’en est assez pour que l’élection échoue. Singulier spectacle après tout que celui de ce contrôlé choisissant lui-même son contrôleur, et appelant à son aide ceux qui touchent une part de l’objet de ce contrôle, l’argent du budget! Voici pourtant quinze ans que les élections se pratiquent ainsi : l’administration se montre toujours aussi envahissante et l’homme des campagnes toujours aussi crédule.

Devant ces empiétemens, rappelons en quoi consistent les forces du candidat indépendant. Pour combattre une armée qui marche avec une consigne et mettre les choses de son côté, il a les influences naturelles qui y font contre-poids, les gens qui sentent comme lui, pensent comme lui et sont disposés à agir comme lui, quelques fonctionnaires libres dans leurs mouvemens, quelques hommes d’affaires que leur train de vie met en contact avec les populations, les mécontens enfin, qui ne manquent en aucun temps ni sous aucun régime. Le paysan de son côté n’est pas tellement isolé ni confiné dans sa commune qu’on ne puisse se mettre en contact avec lui; on le voit, on le rejoint dans le rayon de circulation qui lui est familier, aux chefs-lieux de canton et d’arrondissement, aux marchés, aux foires, aux fêtes patronales, aux comices agricoles, partout où ses intérêts et ses divertisse mens l’appellent. Autant d’occasions, autant de rendez-vous dans lesquels les relations se nouent et où l’opinion se forme pour peu qu’on y aide. Les choses n’en vont que mieux quand on peut causer les coudes sur la table avec des gros fermiers qui disposent d’un certain nombre d’auxiliaires, ou des cultivateurs aisés qui manient bien la parole et sont ce que l’on nomme des meneurs.

Quoi de plus? La cheville ouvrière de l’œuvre, supérieure à tous les petits moyens, c’est un patronage régulier, incessant, désintéressé, allant à l’encontre de celui que le gouvernement exerce avec des agens à sa main et au moyen des deniers publics. Pour le candidat qui prend goût à sa tâche et veut y réussir, rien désormais