peuple, M. Baudin, est tombé victime de la guerre civile, frappe d’une balle sur une barricade du faubourg Saint-Antoine. Il a eu après tout la fin la plus honorable en défendant la loi, et avec la loi la cause républicaine, à laquelle il était attaché. Il n’est pas seulement mort avec honneur, il est mort de la manière la plus cruelle, avec une poignante déception au cœur, en exhalant cette déception dans un mot d’une simple et belle amertume. Au moment où il appelait le peuple aux armes, un ouvrier lui criait : « Est-ce que vous croyez que nous voulons nous faire tuer pour vous conserver vos vingt-cinq francs ? » Et Baudin répondait : « Vous allez voir, mon ami, comment on meurt pour vingt-cinq francs ! » Pendant longtemps à partir de cette heure où il disparaissait dans Tobscurité d’un combat de rue et dans le désastre de sa cause, il n’a pas plus été question de Baudin que de bien d’autres. On se souvenait tout au plus qu’un représentant avait péri à cette époque ; puis un jour, tout récemment, un historien a remis en lumière cette fin tragique en racontant comment avait sombré la république. Le nom de la victime du 3 décembre a reparu ; on a recherché ses restes, on est allé le 2 novembre au cimetière Montmartre, où ces restes reposent. On s’est trouvé par hasard ou on s’est donné rendez-vous autour de cette petite pierre funèbre, et comme ni l’histoire ni le nom n’étaient parfaitement familiers aux visiteurs, il y a eu même des naïfs, à ce qu’il paraît, qui sont allés tout bonnement à la tombe de l’illustre et glorieux amiral Baudin. Bref on a voulu évidemment faire une manifestation de parti, et à la suite quelques journaux ont pris l’initiative d’une souscription destinée à élever un monument à la mémoire du vaincu du 2 décembre. Le gouvernement à son tour a cédé à un dangereux sentiment d’impatience en engageant des poursuites, et il a fait une chose plus grave, il a laissé planer une certaine obscurité sur la nature de ces poursuites, qu’on a pu croire dirigées soit contre la souscription elle-même, soit contre les droits de l’histoire. Alors cette souscription qu’on croyait attaquée est devenue une protestation plus générale, — assez vague pour réunir des adhérens dont les noms, il faut le dire, ont dû être étonnés de se trouver ensemble, de telle sorte qu’après dix-sept ans un épisode de guerre civile est tombé dans nos débats comme un événement d’hier, avec ses souvenirs douloureux et irritans. Voilà le fait. Il a un côté judiciaire dont nous ne pouvons parler que pour le regretter ; il a aussi et surtout un côté politique infiniment plus grave. Pour nous, quand on nous place en présence de tels incidens, nous les interrogeons avec une préoccupation pleine d’anxiété, nous leur demandons ce qu’ils peuvent pour le pays et pour la liberté.
Au fond, de quoi s’agit-il ? Qu’un homme se soit enveloppé pour mourir dans le dernier lambeau d’une constitution déchirée, et qu’un jour ou l’autre ses amis ou ceux qui ont servi la même cause veuillent con-