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coup en disant peu, et de rester vrai dans une donnée scabreuse sans que la pudeur la plus éveillée trouvât le moindre prétexte à s’effaroucher. Il a usé du bénéfice que lui assurait cette habile exposition par voie de renseignemens indirects.

L’hôtel de M. le baron Brunner est dans un certain désarroi. Ce n’est point parce qu’on y donne un grand bal le soir, c’est parce que depuis deux jours M. Paul de Bussac n’y a point paru. Comme il est depuis quatre ans l’âme et le génie familier de la maison, sans lui tout semble vide. Les domestiques ne savent à qui demander des ordres, le baron ne sait à qui conter ses procès, qui envoyer chez son avoué; la baronne aussi est songeuse. M. Paul méditerait-il de rompre son ban? M. Paul est en effet décidé à le rompre. Dans un récent voyage en province, il a vu, aimé, demandé en mariage sa jeune cousine. «Je te la donne, a répondu son oncle, qui sait la vie et le monde, comme on va voir; mais je te la donne à une condition, c’est que tu ne sois enchaîné dans aucune liaison sérieuse qui risque d’engager ton avenir. Ne nie point, je verrai bien; dans deux mois, je serai à Paris, et je ferai mon enquête. D’ici là, liquide ton passé. » Ce diable d’oncle est arrivé le matin même, un mois plus tôt qu’on ne l’attendait; il sera au bal du soir, et rien n’est encore liquidé. Il faut lui donner le change au moins pour un jour. Paul a recours à un ami remuant qui a bien assez d’esprit pour le tirer d’affaire, et qui, sous les traits de M. Landrol, anime toute la pièce de sa gaîté. Cet ami consent à s’improviser factotum en titre de la maison, tandis que Paul se donnera les allures d’un simple invité. Si on parvient sans encombre jusqu’à la fin de ce bal, tout est sauvé. Paul s’approchera de la baronne, il ouvrira avec une petite clé qu’il a dans sa poche le fermoir d’un bracelet d’or qu’elle porte au bras, et tout sera dit. C’est un signe convenu entre eux. L’anneau ouvert, leur amour est fini. — Le comte de Bussac arrive, c’est un vieux gentilhomme vert, spirituel jusqu’au bout des gants, et dont M. Ravel fait ressortir à merveille la physionomie piquante et distinguée. Si Paul a espéré lui en remontrer, il s’est abusé grandement. Au cas où il épouserait sa cousine, je lui conseille de marcher droit dans les sentiers du devoir sous les yeux vigilans de ce perspicace beau-père. Celui-ci est à peine entré que son tact d’homme du monde, son flair d’ancien viveur, lui font diagnostiquer avec une précision désespérante et l’état des gens qui le reçoivent et la situation de son neveu dans la maison. Le pauvre garçon ne s’acharne pas moins à déjouer cette pénétration impitoyable. Il n’est pas de force, cela va sans dire; mais la belle résistance qu’il fournit, les complications qui se jettent à la traverse dans ce salon où l’intrigue pousse et fleurit à souhait, le zèle de l’ami remuant qui cherche à brouiller les pistes, non sans chasser pour son propre compte sur ce terrain giboyeux, tout cela donne lieu à une suite de scènes des plus amusantes. Une des plus gaies est