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Malheur ! la première file qui veut passer le fleuve plonge abattue tout entière dans la foudre et l’éclair.

La seconde brigade qui paraît sur le pont, — malheur ! malheur ! — pulvérisée, accroît le nombre des morts.

Splendide, Bonaparte saisit le drapeau : « Le pont ! dit-il, il faut enlever le pont ! » et l’épée haute :

« Grenadiers, en avant ! » Les plus forts baissent la tête, et, sombres, se laissent insulter par le sort.

Donc, héroïque France, tes fils aujourd’hui lâcheront pied, tes fils, ô république, épouvante des tyrans !

Non ! un enfant de troupe perdu dans la fournaise, un enfant, voyez ! se courbe ardent sur son tambour.

Effaré, l’âme en fête, battant, battant le rappel, il court et se place en tête, devant le général.

Ce n’est qu’une fauvette, pauvret ! Mais son tambour, d’une voix terrible, parle, parle de liberté, d’honneur.

En colère, en furie, il parle des vieillards, il parle des enfans, il parle de la patrie, et fait dresser les cheveux.

Et beaux jeunes hommes qui soudain ont des larmes dans les yeux, des sanglots dans le cœur, et vieux soldats qui grognent sous leurs catogans,

Tous ensemble, battant, battant la charge, tous il les fait bondir, il les pousse, il les lance pêle-mêle éperdus.

Dans la sombre bordée qui tonne sur le pont, l’armée s’engouffre en désordre, toute de front ;

Avec le sang qui fume, les cris, les râles, la poudre qui s’allume, la mort, le tourbillon.

Au chant de la Marseillaise, au chant de la liberté, par l’armée française le pont est emporté.

III. — LE PANTHÉON.

Ah ! le petit tambour eut du succès ! devant toute l’armée, en plein soleil, pour étoiler son front d’un rayon de gloire, l’illustre général lui donna deux baguettes d’honneur, deux baguettes d’or et d’ivoire, et le certificat dans un tableau.

Partout, dans les journaux, dans les écoles, on le cita pour modèle et pour leçon. Son nom franchit la mer et les montagnes, presque jumeau avec celui des plus grands, et même, du petit tambour d’Arcole, on en fit des images et des chansons.

Puis triomphalement l’ère martiale au ronflement des canons se déploya ; du Tage ensoleillé aux mers de glace, l’aigle sur les nations plana