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éblouissante, et dans les splendeurs impériales l’étoile du tambour s’évanouit.

Puis il passa de l’eau au Rhône et de l’eau au Rhône. L’empire prodigieux s’écroula tout d’une pièce (qui veut tout avaler doit en pâtir !). Il passa, il passa des rois petits et grands, et le tambour nagea, coque de noix, sur le flot qui engloutissait les souverains.

Or, à Paris, un jour qu’il se promenait couvert de cicatrices, perclus, les cheveux blancs, car il était vieux, et que, songeur, en lui-même il repassait son jeune temps, sa gloire et ses déceptions, quatre-vingt-neuf, ce débordement de sève, la république en branle, la mort du roi.

Et la voix tonnante de notre Mirabeau, et les Marseillais marchant sur Paris, et les clameurs de la révolution, et la levée en masse, et les Anglais, les Allemands, les Russes, pêle-mêle secoués, repoussés tous à la fois,

Et lui-même par le bruit, par le son en flamme, par le frémissement hardi de son tambour, faisant, ô patrie, entendre ton rugissement et s’abreuver les hommes à ta saveur, faisant chanter les âmes dans l’enthousiasme et tressaillir les cœurs dans ton flamboiement !

Il se voyait renonçant à la femme, douce nostalgie, pour aimer son pays à corps perdu ; il voyait ses compagnons de guerre entraînés par lui à la victoire et au comble des honneurs : Masséna le Niçois taillant l’histoire, Lannes le Gascon devenant duc,

Roi de Suède là-haut Jean Bernadette, roi de Naples Murat l’enfant de Cahors, Bonaparte empereur de sa botte foulant nations et rois comme raisins, — et le pauvre tambour après la fête tambour comme devant. Ainsi vont les choses.

Et puis l’oubli, la vieillesse amère, l’éternelle abnégation d’où naît le dégoût, la gamelle enfin comme les moines avec la solitude et le découragement. « Oh ! s’écria-t-il soudain, la gloire ! songe, folle ivresse, vain décor !

Qu’il valait bien mieux laisser la guerre, et sur les bords de la Durance, à Cadenet, aller tranquillement bêcher la terre, et me procurer femme et enfans, comme font tant d’autres, là-bas où était le nid, la paix de Dieu, quand j’étais jouvenceau ! »

Et une larme mouilla la joue du vieux conscrit. Pourtant, chemin faisant dans les longues rues à parois hautes et dans le va-et-vient tumultueux de Paris, il était arrivé lentement, l’âme malade, au pied du Panthéon éblouissant.

Là-haut, dans les airs, — sainte Marie ! — du fronton géant tout neuf alors sortaient en relief les statues symétriques, et sur la frise des lettres d’or disaient : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ! — Ce que c’est que le sort !

— « Tambour, hausse la tête ! lui crie un passant. Celui qui est là-