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terces, cela ne fait que 7 ou 8 francs par mois. La dépense nous paraît encore bien modeste, mais il ne faut pas oublier que les anciens, que nous accusons volontiers d’avoir été des sybarites, étaient dans leurs repas d’une frugalité qui nous effraie. Quand l’empereur Hadrien visitait ses armées, il se contentait de lard et de fromage comme les simples soldats, et ne buvait jamais que du vinaigre avec de l’eau. On connaît le menu d’Horace ; ce n’est pas ainsi qu’on se figure un régime d’épicurien.

Il n’est pourtant pas possible que, malgré la modicité des dépenses qu’ils occasionnaient, ce grand nombre d’esclaves de luxe ne fût pas pour tout le monde une cause de gêne. Pourquoi se l’imposait-on ? quel motif poussait de petites gens à subir un fardeau sous lequel pliaient les plus riches ? La réponse est facile : on voulait paraître. Tout le monde alors mettait sa vanité à éblouir les yeux par un cortège imposant. Les grands personnages traînaient derrière eux une armée de cliens et d’amis quand ils se rendaient au Forum. Il leur fallait des centaines d’affranchis ou de serviteurs dès qu’ils sortaient de Rome. C’est ce qui les forçait à faire de leurs maisons de ville ou de campagne de véritables casernes. Sous Néron, le préfet de Rome, Pédanius Secundus, ayant été assassiné par un de ses esclaves, on arrêta comme complices tous ceux qui avaient passé la nuit sous le même toit. Il s’en trouva quatre cents. Il fallait se moquer du préjugé, comme faisait Horace, pour oser se promener seul. Un magistrat qui se permettait de n’avoir avec lui que cinq domestiques était montré au doigt. Le peuple avait même fini par mesurer l’estime qu’il faisait d’un homme au nombre de gens qui l’accompagnaient. Un avocat ne passait pas pour éloquent, s’il n’avait au moins huit serviteurs derrière sa litière. Quand il n’était pas assez riche pour les acheter, il les louait. C’était le seul moyen pour lui de trouver des causes et d’être écouté quand il parlait. Les femmes aussi s’en servaient pour attirer sur elles l’attention du public. Juvénal raconte qu’Ogulnia se gardait bien d’aller seule au théâtre : qui se serait retourné pour la regarder ? Elle louait des suivantes et une soubrette aux cheveux blonds à qui elle affectait de donner souvent des ordres. Elle poussait même le luxe jusqu’à se faire accompagner d’une nourrice respectable et de quelques amies de bonne apparence. De cette façon Ogulnia était sûre de faire sensation quand elle passait.

Ainsi les esclaves servent beaucoup lorsqu’on sort, ils accompagnent le maître, donnent bonne opinion de lui et sont une partie de sa considération ; mais qu’en fait-on quand on est rentré chez soi ? On en avait trop pour que, dans un ménage modeste, on trouvât toujours à les occuper. Afin de leur donner quelque chose à faire,