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L’ESCLAVE À ROME.

de Caton l’esclave était en général traité humainement, qu’il vivait dans la familiarité de son maître, et que d’ordinaire il vieillissait dans sa maison. Après la bataille de Cannes, Rome, qui n’avait plus de soldats, n’hésita point à donner des armes à huit mille esclaves. Ils servirent bravement à côté des légions, et méritèrent la liberté. Se seraient-ils exposés à mourir pour des maîtres qu’ils auraient détestés ?

C’est cette résistance de la nature aux rigueurs injustes de la loi qui a empêché de très mauvaises coutumes tolérées ou encouragées par le législateur de produire les résultats détestables auxquels on pouvait s’attendre. En voici un exemple curieux. Quand l’enfant venait de naître, on le déposait aux pieds du père. Il se baissait vers lui, s’il voulait le reconnaître, et le prenait dans ses bras. S’il s’en détournait, on l’emportait hors de la maison et on l’exposait dans la rue. Quand il ne mourait pas de froid et de faim, il appartenait à celui qui voulait s’en charger, et devenait son esclave. Certes on ne peut douter que beaucoup de ces malheureux enfans n’aient été victimes de cet usage barbare. Si l’on en croit Sénèque le père, ils étaient quelquefois recueillis par des entrepreneurs de misères publiques, comme il les appelle, qui les mutilaient avec art pour en faire des mendians de bon rapport. « Allons, dit un rhéteur dans son ouvrage, amène tous ces cadavres qui ont peine à se traîner ; montre-nous ta troupe de borgnes, de boiteux, de manchots, d’affamés ; introduis-moi dans ta caverne, je veux voir cet atelier de calamités humaines, cette morgue d’enfans (illud infantium spoliarium). » Gardons-nous de nous laisser trop émouvoir par ce pathétique. C’est un déclamateur qui parle, et il traite un sujet d’école. Il est bien possible que ces raffinemens de cruauté et ces mutilations savantes n’aient jamais existé que dans les discours des rhéteurs. Ce qui est plus certain, c’est qu’une sorte de pitié publique veillait sur ces pauvres abandonnés. On a la preuve qu’ils n’étaient pas traités tout à fait comme les autres esclaves, quoique la loi ne fît entre eux aucune différence, et que même on ne leur en donnait pas le nom. On les appelait élèves ou nourrissons, alumni, et on les regardait comme des fils adoptifs. Ils trouvaient souvent dans leur nouvelle maison l’affection que leur famille véritable leur avait refusée. Ceux qui les avaient recueillis étaient vraiment des pères pour eux, ils en prenaient volontiers le nom, et il n’est pas rare de lire ces mots touchans sur les tombeaux qu’ils leur élèvent : « je l’aimais comme s’il eût été mon enfant. »

C’est ainsi que l’humanité corrigeait les sévérités de la loi. Elles étaient partout opposées l’une à l’autre et luttaient ensemble. Dans ce combat, qui a duré plusieurs siècles, c’est l’humanité qui a