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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/533

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L’ESCLAVE À ROME.

quant des étrivières et narguant les bourreaux. « Je mourrai sur la croix, fait-il dire à un drôle ; eh bien ! n’est-ce pas ainsi que sont morts tous mes aïeux ? » Les châtimens, quand ils sont trop répétés, cessent d’être effrayans. Dans ces pays de l’extrême Orient où les exécutions capitales sont si fréquentes, elles ne font peur à personne ; on prétend même qu’en Chine, pour une somme convenable, les condamnés à mort trouvent à se faire remplacer. Ce qui est sûr, c’est que, malgré la rigueur de sa condition, l’esclave prenait gaiment la vie. Celui qui habitait la ville n’était pas confiné dans la maison et rigoureusement enfermé dans les travaux domestiques. Il participait à l’existence joyeuse de son maître, il fréquentait comme lui les bains publics, il assistait aux jeux du cirque ou de l’arène. Les gladiateurs n’avaient pas de spectateur plus assidu et plus passionné ; il prenait parti pour les Thraces ou les Myrmillons, il applaudissait avec rage Pacidéianus ou Rutuba ; le soir, il errait dans les mauvais quartiers de Rome où les courtisanes à deux as « se montrent sans voile à la lumière éclatante des lampes. » À la longue, ces plaisirs lui devenaient nécessaires, et il ne pouvait pas s’en passer. L’esclave d’Horace ne cessait d’y rêver quand pour son malheur son maître l’emmenait à la campagne. Au milieu des plaines tranquilles de la Sabine, il songeait toujours aux rues de Rome, à ce cabaret du coin (uncta popina) où il trouvait du vin à bon marché et une joueuse de flûte de mœurs faciles qui le faisait sauter lourdement quand il avait bien bu. Horace se moque beaucoup de ces divertissemens grossiers et semble les prendre en pitié. Qui sait pourtant s’il ne régnait pas dans ce cabaret d’esclaves une plus franche gaîté qu’à la table du maître quand il versait à ses amis son falerne de cinquante ans, et qu’il régalait de son cécube et de ses petits vers Cinara ou Lalagé ?

Je crois donc qu’en général on se représente l’esclave romain un peu plus malheureux qu’il ne l’était, et qu’en dépeignant son sort on charge les couleurs. Ce qui entraîne à exagérer, c’est la comparaison qu’on fait sans le vouloir de l’esclavage antique avec celui qui a régné si longtemps dans le Nouveau-Monde, et dont, il faut l’espérer, notre génération verra la fin. Ils ne se ressemblent pas, et, je le dis à regret, c’est celui de nos jours, celui qui est venu après le christianisme, qui est le plus rigoureux. Comme il est fondé sur une différence de couleur, rien n’en peut effacer la trace. Il résiste même à la liberté ; c’est un mal sans remède, au seuil duquel on peut dire, comme le poète, qu’il faut laisser toute espérance. La flétrissure survit à l’émancipation, et à la servitude réelle succède une servitude d’outrage et de mépris qui ne finit pas. Rien de pareil n’existait dans l’antiquité. Ce n’était pas une seule race, une race