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à l’autre, en sorte que cette facilité que l’esclavage donnait pour satisfaire toutes les passions est devenue une des causes les plus puissantes de corruption dans la société romaine. Quelquefois aussi l’affection était plus sérieuse ; le maître alors affranchissait son esclave et l’épousait. Ces sortes de mariages paraissent avoir été très nombreux. La loi ne les interdisait qu’aux sénateurs et à leurs enfans. Les autres avaient le droit de les contracter, et, à la facilité avec laquelle on les avoue dans les inscriptions, on voit bien que l’opinion n’en était pas scandalisée. En élevant ainsi son esclave jusqu’à lui, en lui donnant à la fois la liberté et la fortune, le maître pensait sans doute qu’elle lui serait plus attachée et plus fidèle. Il a dû se tromper quelquefois. Un de ces malheureux, abandonné par son affranchie, avait voulu, selon l’usage, confier sa vengeance aux morts. Il avait fait graver sur le revers d’un tombeau l’inscription suivante : « Honte éternelle à l’affranchie Acté, empoisonneuse, perfide, trompeuse, au cœur de fer ! Puisse-t-elle attacher à son cou une corde de chanvre ! Puisse la poix ardente brûler son cœur méchant ! Je l’avais affranchie pour rien ; elle a suivi un amant, elle a trompé son maître, elle a emmené avec elle ses deux seuls serviteurs, une jeune fille et un enfant. Elle voulait que, laissé seul, dépouillé de tout, le vieillard mourût de désespoir ! » Il me semble qu’on devine à la vivacité de ces paroles tout un petit drame intérieur. Ce vieillard qui se plaint avec tant de colère devait être amoureux, et cet amant qu’avait suivi la jeune affranchie était un rival. S’il ne l’a pas dit d’une manière plus claire, c’est qu’il craignait sans doute de devenir ridicule après avoir été trompé. La loi, qui se montrait complaisante pour les amours du maître, et qui lui donnait un moyen de les légitimer par le mariage, était au contraire sans pitié pour la femme libre qui se permettait d’aimer un de ses esclaves. Ces sortes d’aventures étaient, à ce qu’il semble, assez fréquentes. Pétrone s’amuse beaucoup de cette étrange contradiction qui fait que les maîtresses s’abaissent volontiers jusqu’à leurs valets, tandis que les servantes aspirent généralement à l’amour de leurs maîtres. « Pour moi, fait-il dire à une de ces dernières, je n’ai jamais cédé à un esclave ; aux dieux ne plaise que j’accorde mes caresses à des gibiers de potence ! C’est l’affaire des grandes dames, qui aiment à retrouver sous leurs baisers la trace des étrivières ! » Parmi ces grandes dames, il y avait quelquefois des princesses. Tacite nous raconte qu’Emilia Lépida, la femme de Drusus, fut condamnée pour avoir eu des relations avec un esclave, ob servum adulterum. Sous Claude, un sénatus-consulte décida que cette faute entraînerait la perte de la liberté. Constantin aggrava la peine, et punit de mort la coupable ; mais ni Constan-