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prélat sans prendre connaissance de la correspondance jusqu’à présent inconnue du préfet de Montenotte, on ne pourrait non-seulement rien soupçonner des étranges scènes qui se sont passées à Savone au mois de mai 1811, mais on risquerait de ne pouvoir se rendre compte des véritables motifs qui ont amené la dissolution ultérieure du concile national. C’est à la lumière projetée par les dépêches de M. de Chabrol qu’il faut désormais considérer une série d’épisodes historiques dont l’apparente confusion était restée jusqu’à présent à peu près inexplicable.


II

Au moment où les trois évêques arrivaient à Savone le 9 mai 1811, Pie VII était, on s’en souvient, tenu depuis quatre mois dans un état de séquestration absolue. Non-seulement tous ses livres, tous ses papiers, lui avaient été enlevés, non-seulement il était privé de plumes et d’encre pour son usage particulier, mais ses plus intimes et ses plus indispensables serviteurs avaient été arrachés d’auprès de sa personne, et la plupart enfermés dans la prison d’état de Fénestrelle. Cette mesure d’une rigueur inouïe avait atteint, outre le prélat Doria, le propre confesseur du pape, et jusqu’à un vieux valet de chambre qui lui servait de barbier. Aucune nouvelle politique quelconque n’était venue du dehors jusqu’à Pie VII, sinon celles que, d’après les instructions reçues de Paris, le préfet de Montenotte avait été parfois invité à porter à sa connaissance, quand elles avaient paru de nature à jeter le découragement dans son âme et, à le détonner de ses idées de résistance. Tout ce qui regardait les affaires de la catholicité et surtout celles de l’église de France avait été dérobé à sa connaissance avec un soin particulier. Afin que son isolement moral fût plus complet, on lui avait laissé ignorer jusqu’au sort des membres du sacré-collège auxquels il portait le plus d’affection. C’est ainsi qu’il apprit seulement de la bouche de M. de Barral et de ses collègues la mort à Paris des cardinaux Erskine et Visconti[1]. On devine quelles inquiétudes tourmentaient l’âme du malheureux prisonnier réduit à une pareille solitude. Les mauvais traitemens personnels auxquels il était en butte ne lui avaient d’ailleurs inspiré aucune aigreur. A vrai dire, il ne les ressentait point ; à peine s’en plaignait-il, ce qui surprenait

  1. « Le pape ignorait la mort des cardinaux Erskine et Viscontî ; nous la lui avons apprise, ainsi que leur sépulture au Panthéon et le décret qui l’a réglée d’une manière honorifique… « Troisième lettre des évêques députés, 13 mai 1811. — Fragment historiques, p. 252.