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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/561

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fort M. de Chabrol. S’il en touchait quelques mots, ce qui lui arrivait rarement, ce n’était nullement pour se poser lui-même en victime, c’était pour se lamenter sur les extrémités où était réduite l’église dont il était le chef. Quand le préfet de Montenotte lui annonça officiellement l’arrivée à Savone des trois évêques députés par le clergé de France, Pie VII, demeuré calme, mais visiblement préoccupé, s’imagina que le moment de l’épreuve solennelle était arrivé pour lui[1]. A la première audience, accordée le 10 mai à ces prélats, il leur laissa clairement apercevoir qu’il pensait qu’il s’agissait de le juger ou de lui parler du jugement que les évêques réunis à Paris porteraient bientôt sur sa conduite et sur sa personne[2]. Telle était bien au fond l’idée que, pour en avoir plus aisément raison, l’empereur avait désiré faire naître dans l’esprit de son prisonnier ; mais les évêques n’avaient pas laissé le saint-père exprimer une pareille crainte sans la repousser avec force protestations de respect. Assuré qu’un si fâcheux scandale serait évité à l’église, Pie VII avait bientôt repris sa sérénité habituelle. Il écouta les évêques avec bonté, et leur parla de l’empereur avec affection[3]. Durant cette première conférence d’une heure et demie entre le saint-père et les évêques, qui n’étaient à ses yeux que des députés du clergé de France et nullement encore des envoyés du chef de l’empire, on causa de toutes les affaires de l’église, mais, comme il était naturel, un peu à bâtons rompus. Sur l’annonce de la tenue d’un concile qui allait s’ouvrir à Paris, Pie VII fit brièvement remarquer que son concours y était nécessaire. La distinction établie par ses interlocuteurs entre les conciles nationaux et les conciles œcuméniques le calma sans peine. Il laissa néanmoins entrevoir qu’un concile national ne pourrait pas changer la discipline générale de l’église soit pour l’institution des évêques, soit pour tous autres points importans. Le pape s’était ensuite retranché, suivant le rapport de l’archevêque de Tours au

  1. « J’ai trouvé le pape préoccupé, quoique calme. Il m’a dit que les évêques pourraient venir quand ils voudraient, semblant faire allusion à son défaut de liberté. Je lui ai témoigné le désir et l’espoir qu’avaient tous les gens, éclairés qu’il terminerait bientôt les maux de l’église. Il m’a dit qu’il le souhaitait, pourvu que sa conscience ne fût pas blessée, de ce qu’on lui demandait… » — Lettre de M. de Chabrol à M. le ministre des cultes, 10 mai 1811.
  2. « Le pape a paru croire un instant que nous venions en quelque sorte pour le juger ou pour lui parler du jugement que les évêques réunis aigris, parleraient de sa conduite et de sa personne. Nous avons éloigné cette idée avec force respects. » — Première lettre des évêques députés au ministre des cultes, 10 mai 1811. — Fragmens historiques, p. 263.
  3. «… Du reste, pendant toute la conférence, le pape nous a parlé avec modération et de l’empereur avec affection… » — Première lettre des trois évêques députés, 10 mai 1811. — Fragmens historiques, p. 266.