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Horrible angoisse pour les chefs qui tenaient, le centre et l’est du pays serbe ! Si l’armée de la Schoumadia se débandait comme celle de la Koloubara, tout, était fini. Précisément à l’heure où Nenadovitch était ainsi abandonné des siens, — et les nouvelles courent vite, dans un pays soulevé, — on apprenait que le pacha de Scutari venait de franchir la frontière de l’est avec une armée de 40,000 hommes. Ce sont ici les grands jours de Kara-George, c’est dans cette crise effroyable qu’il s’est révélé à tous comme le vrai chef, le futur prince des Serbes. Un de nos vieux poètes a dit :

La guerre, c’est la forge où se font les couronnes.

Le porcher de la Schoumadia y forgeât la sienne au milieu de la défaillance publique. Beaucoup d’esprits commençaient à se dire qu’une telle entreprise était une folie la Serbie contre la Porte ! une province contre un empire ! Kara-George eut foi dans le succès, et sa foi releva l’armée. Il fallait d’abord rétablir l’insurrection dans les districts de l’ouest et arrêter la déroutes. A l’armée turque de Bosnie, qui avait envahi la Matsdiva et de là pouvait marcher en droite ligne sur Belgrade, il oppose une bande de 1,500 hommes commandés par Kalitch, 1,500 hommes pour en tenir 30,000 en respect, c’est une faible ressource mais il a si bien choisi ses positions, si bien mis à profit les défilés, les rochers, les forêts, que chacun de ces tireurs invisibles vaudra vingt cavaliers turcs. Pour lui, à la tête d’un millier d’hommes, il se porte au-devant d’Hadschi-Beg, qui était sorti de la forteresse de Sokol et marchait vers la Schoumadia ; il le rencontre à Petzka, et le rejette si vigoureusement en arrière que Hadschi-Beg ne se hasardera plus à quitter l’abri de ses murailles. Il entre ensuite dans les districts, où les Bosniaques, vainqueurs, avaient organisé un nouvel ordre de choses, il punit de mort, lest knèzes qui ont reçu l’investiture des mains de l’ennemi, il frappe comme des traîtres tous ceux qui se sont rendus ; les autres, les braves, il les traite en héros, et les tribus assistent à des scènes naïvement grandioses, qui rappellent les légendes épiques de Marko et de Milosch. Parmi ceux qui n’avaient point désespéré se trouvait un tout jeune homme à la tête blonde, à la lèvre souriante, un cœur de lion, sous les traits d’un adolescent : c’était Milosch Stoitschevitch, qui remplissait des fonctions de secrétaire auprès d’un notable de Potserje. A l’arrivée des Bosniaques, son maître, était passé à l’ennemi, sa mère avait été emmenée en esclavage ; lui, indomptable avait rassemblé quelques hommes également résolus à ne pas subir le joug, et s’était retiré dans les montagnes pour continuer la guerre. « Milosch, lui dit Kara-George, tu es mon fils d’adoption, je te nomme voïvode de