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Tandis que Kara-George et ses compagnons anéantissaient l’armée bosniaque, d’autres chefs, Jacob Levich, Stanoina Alas, Mladen, Glavasch, surtout Pierre Dobrinjatz, défendaient la frontière orientale contre l’armée du pacha de Scutari. Les rapports des chroniques serbes sont beaucoup moins détaillés à ce sujet que sur la bataille de Mischar. On sait seulement que Pierre Dobrinjatz, abrité sous les redoutes qu’il avait élevées à Deligrad, sur la rive droite de la Morava bulgare[1], y arrêta pendant six semaines les Albanais et les Rouméliotes d’Ibrahim. Pendant ce temps, des bandes serbes harcelaient sans cesse les flancs de l’ennemi et menaçaient de lui couper la retraite. C’est ainsi qu’une armée de 30 ou 40,000 hommes, terrifiée d’ailleurs par les nouvelles qui arrivaient de Mischar, fut tenue en échec et réduite à l’impuissance par les troupes bien moins nombreuses de Pierre Dobrinjatz.

Bientôt, Kara-George arrivant avec ses troupes victorieuses, Ibrahim, qui avait demandé des ordres à Constantinople, fut chargé de lui offrir la paix. Une conférence eut lieu dans Smederevo, et il y fut convenu qu’une députation irait exposer au sultan les justes exigences du peuple serbe. Les chefs de cette ambassade étaient deux des principaux knèzes, assistés d’un personnage fort habile, Bulgare de naissance, qui avait été drogman de la légation ottomane à Berlin, et qui connaissait non-seulement les langues, mais les affaires de l’Europe. « Prenez garde, dit-il au divan, les Russes ont déjà pris en main les intérêts de la Moldavie et de la Valachie. Si la guerre éclate entre la Russie et la Porte, et cette guerre est imminente, prenez garde que votre ennemi ne trouve des auxiliaires tout prêts dans les insurgés de la Serbie. Donnez-leur les garanties qu’ils ont droit de réclamer, et vous désarmez sur ce point la politique russe. » C’étaient les conseils du bon sens, et aujourd’hui encore il n’est pas de meilleure voie à suivre pour qui veut combattre efficacement le panslavisme. Pierre Itschsko, c’était le nom de notre diplomate, développa ces idées avec tant de force et d’adresse, que le divan ne tarda guère à se rendre. Dès la fin d’octobre 1806, les députés serbes revenaient à Smederevo, apportant les offres du gouvernement impérial : les Serbes seraient les maîtres chez eux, ils auraient un gouvernement propre, ils occuperaient même les forteresses ; à ces conditions, ils feraient toujours partie de l’empire ottoman et reconnaîtraient la suzeraineté de la Porte. En signe de vassalité loyale, ils paieraient un tribut annuel

  1. La Morava bulgare, qui descend des montagnes du sud-est, se réunit, non loin de Krouschevatz, à la Morava serbe, laquelle descend des montagnes du sud-ouest, et, traversant toute la Serbie, va se jeter dans le Danube au-dessous de Belgrade, à Smederevo.