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Libre du côté de l’est, Kara-George put se porter vers l’ouest, où les Turcs de Bosnie avaient franchi la Drina et s’étaient emparés de la forteresse de Losnitza. Malgré la vigoureuse défense du voïvode Antoine Bogitschevitch, Losnitza, canonnée, bombardée pendant douze jours, était tombée aux mains des Turcs, et Kara-George en avait reçu la nouvelle au moment où il allait se mesurer avec Kurchid-Pacha. Jamais, c’est lui qui l’a dit, il n’avait ressenti pareilles angoisses. Kurchid battit en retraite au mois de septembre ; au mois d’octobre, Losnitza était reprise. En somme, malgré tant de crises, et bien que l’existence du nouvel état ait paru menacée plus d’une fois, la Serbie sortait plus forte de ces campagnes de 1809 et 1810. Elle n’avait pas accompli le programme de Kara-George, elle n’avait pas réalisé les prédictions du vladika de Monténégro, elle ne pouvait pas encore tendre la main au peuple de la Montagne-Noire à travers la Bosnie et l’Herzégovine affranchies des Turcs, elle était cependant plus puissante qu’avant cette audacieuse levée d’armes, puisqu’elle avait pris des villes, des forts, des points stratégiques, à tous les pachaliks d’alentour. Du territoire de Widdin, les Serbes avaient détaché la Kraïna, du pachalik de Nisch Alexinatz et la Bania, du district de Lescovatz Parakyne et Krouschevatz, de la contrée de Novipasar l’antique monastère de Studenitza, de la Bosnie enfin les districts de Jadar et de Radjevina. Qu’on se figure un vaste demi-cercle dont la base serait le Danube ; à l’est, au sud, à l’ouest, des annexions importantes avaient agrandi et fortifié la Serbie de Kara-George.


III

La Serbie de Kara-George ! Ce mot n’est pas tout à fait exact. Le commandement suprême acquis par tant de services au vainqueur de Mischar lui était toujours contesté. L’aristocratie guerrière issue de la révolution ne se résignait point à abdiquer ses pouvoirs. Au moment où le salut de tous réclamait l’unité de vues et d’action, une sorte de féodalité à la manière ottomane essayait de se partager le pays serbe. M. Ranke affirme ici que ces questions étaient indifférentes, que le partage du pays entre les hospodars offrait même des avantages, que chacun d’eux, ayant bien gagné son rang et connaissant à fond sa province, pouvait s’y rendre plus utile, qu’il eût mieux valu enfin conserver cette espèce de fédération aristocratique. Il ajoute seulement qu’une fois la lutte engagée entre les hospodars et le « commandant, » l’intérêt de tous exigeait que Kara-George demeurât vainqueur. C’était pourtant ce système de féodalité militaire établi alors chez les Turcs qui avait paralysé