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leur action et permis aux Serbes de maintenir leur indépendance. Comment Kara-George, avec, des troupes, peu nombreuses, avait-il pu battre des armées de 30, de 40,000 hommes ? Parce que l’unité de direction manquait aux milices turques, parce que chaque pacha défendait son pachalik sans concerter ses mouvemens avec ceux du pacha voisin, tandis que le commandant des Serbes, dominant les dissensions intestines par l’énergie de son caractère, savait, aux heures décisives, lancer la Serbie entière sur l’ennemi. L’unité de direction avait sauvé l’indépendance nationale, en voulant détruire cette unité, quelques services qu’ils eussent rendus auparavant, les hospodars jaloux de Kara-George commettaient un crime envers la patrie.

Et il est bien certain qu’ils voulaient la détruire. S’ils appelaient les Russes à leur secours, ce n’était pas seulement, pour être plus forts contre les Turcs, c’était pour substituer le protectorat du tsar au commandement de Kara-George. Le tsar était loin, Kara-George était près. La tsar ne gênerait pas leur action, Kara-George visait à la souveraineté. Déjà, dans la skouptchina du printemps de 1810, Jacob Nenadovitch avait engager la lutte. Il était venu à l’assemblée avec une escorte de momkes bien plus forte qu’à l’ordinaire, environ 600 hommes qui allaient, criant par les rues : « Nous voulons l’empereur ! » Dans les discussions de la skouptchina, Jacob Nenadovitch s’emporta, contre Mladen et Miloje avec une violence extrême. C’étaient, on l’a vu, des hommes dévoués, à Kara-George, mais des hommes peu estimables avec l’esprit le mieux doué. Mladen présidait le sénat ; renverser le président du sénat, n’était-ce pas ébranler Kara-George ? Kara-George répondit simplement : « Si Mladen a mal agi, prends sa place et fais mieux. » Puis, se tournant vers les momkes : « Vous voulez l’empereur, moi aussi. » Nenadovitch était donc devenu président, du sénat, et Kara-George, obéissant au vœu des hospodars, avait sollicité pour la Serbie le secours de l’armée russe. Cette skouptchina, où ses adversaires espéraient lui porter un grand coup, n’avait fait que montrer chez lui, au lieu des emportemens d’autrefois, le calme et l’impartialité d’un souverain. La guerre avait recommencé, Kara-George avait grandi encore, et les intrigues de Nenadovitch avaient été comme emportées dans le flot, des émotions publiques.

Cependant la conspiration, des hospodars contre le chef suprême poursuivait ses trames dans d’ombre. Nous ne disons rien de trop, il y avait une conspiration. Diminuer le pouvoir de Kara-George par les moyens légaux, c’est-à-dire par quelque décision de la skouptchina que ratifieraient les sénateurs, puis, le chef de la Schoumadia une fois mis au même rang que les divers chefs des