Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/648

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous faire l’interprète. Je voudrais, si cela se peut sans injustice, que cet argent désormais sans propriétaire qu’on a trouvé dans la valise d’un de nos hommes pût échoir à la jeune fille qui me remit hier sur la grand’route une lettre de lui. Vous comprenez, herr rathsherr, que cette requête doit rester entre nous trois, afin que nul soupçon de connivence ne puisse planer sur votre digne administrateur, et surtout afin que la malignité publique n’interprète point dans un sens défavorable ma bonne volonté pour cette enfant.

— C’est bien de Fieka que vous entendez parler ? demanda joyeusement mon oncle, que cette intrigue à conduire mystérieusement replaçait dans ses véritables conditions d’existence. C’est bien la fille du meunier Voss ?

— C’est la belle enfant que vous voyez là-bas, dit le colonel en lui montrant Fieka debout à quelques pas d’eux. Le bras passé au cou de son père, cette fillette, naguère si courageuse, pleurait maintenant toutes les larmes de son corps, aussi faible devant une joie subite qu’elle s’était trouvée intrépide en face d’un désastre immérité.

Le colonel s’approcha d’elle, et sans autres complimens : — Savez-vous écrire ? lui demanda-t-il.

— Lire, écrire, compter, elle sait tout, répliqua le meunier, voyant que sa fille ne se hâtait pas de prendre la parole.

— Donnez-moi donc exactement votre nom et votre lieu de naissance, reprit l’imposant militaire... Tenez, sur ce feuillet de mon calepin !... Mais, je vous prie, en bas-allemand.

Et Fieka, sur le petit carré de vélin, traça lestement ces mots : « Fieka Voss, née au moulin de Gielow, paroisse de Stemhagen. »

— C’est bien, dit le colonel. Adieu maintenant. Peut-être nous reverrons-nous quelque jour.


XIII.

Une demi-heure n’était pas écoulée, lorsque deux chariots frétés pour Stemhagen sortirent de Brandebourg par la porte de Treptow. Dans le premier étaient les gens d’âge et les dignitaires, le herr rathsherr, le boulanger, le meunier et le valet de chambre du landrath par respect pour ce haut et puissant seigneur. Dans le second, sur le sac de devant, avaient pris place Fritz Besserdich et le messager Luth, sur le sac de derrière Heinrich et Fieka, tout à fait au fond, sur une botte de paille, maître Friedrich. Le rathsherr était profondément préoccupé des honneurs que les habitans de sa ville natale ne pouvaient, s’imaginait-il, marchander à leurs com-