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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/649

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patriotes martyrs de la grande cause germanique. Ses compagnons de route ne comptaient pas sur un si grand enthousiasme, et ne songeaient qu’au plaisir de se retrouver chez eux. Le meunier Voss, plus soucieux que ne le comportaient les circonstances, pensait surtout à son échéance. Questionné par le rathsherr, qui le croyait malade, il ne put s’empêcher de lui confier ses chagrins, et mon oncle, toujours compatissant, toujours disposé à se faire valoir, toujours épris du rôle de protecteur, ne manqua pas, après y avoir réfléchi, de lui promettre assistance. — Je vous tirerai de là, meunier Voss, comptez sur moi ! Dès demain, j’envoie chercher ce juif, et vous verrez comme je sais apprivoiser un créancier farouche. On a par devers soi des secrets qui, divulgués, ne lui feraient pas précisément honneur. Je serai votre garant, et vous aurez répit jusqu’à Pâques. Seulement je désire que l’affaire ne s’ébruite pas. Il faut me promettre surtout que l’amtshauptmann n’en saura pas le premier mot.

Je glisse rapidement sur le triomphe qui suivit. Aux cris poussés par Fritz Sahlmann : — Ils viennent ! ils viennent ! les voilà qui arrivent ! — le vieux sonneur Rickert jugea indispensable de courir au beffroi ; mais, comme il ne pouvait à lui seul mettre tout le carillon en branle, il dut se borner à sonner le tocsin comme pour un incendie. Tout le monde en peu de minutes fut attiré dans les rues par ce formidable appel, et les nobles martyrs de la patrie ne purent fendre qu’à grand’peine les flots de la foule qu’ils supposaient enthousiasmée. Le rathsherr, se redressant sur son sac et la main sans cesse au chapeau, distribuait à droite et à gauche d’affables salutations. Autant en faisait le valet de chambre, étonné de se voir si populaire. Quant au boulanger Witte, il échangeait avec tout le monde des reconnaissances plus familières. — Bonjour, Bank, bonjour !... Avez-vous ressemelé mes bottes ?... Bonjour, Johann ; prenez garde à cette bonne femme, vous allez faire tomber sa cruche... Bonjour, Strühwinken, bonjour, ma petite !... Comment vont nos porcs ?

La tante Herse était à son balcon, et du geste appelait vers elle son cher mari ; mais celui-ci depuis trois jours n’appartenait plus à la vie privée, il se devait à la politique, et, bien qu’à regret, continua sa route jusqu’à la rathhaus. La soirée y fut des plus animées. Tout ce que les garde-manger et les caves n’avaient pas livré à la voracité des réquisitionnaires français fut sacrifié sans le moindre regret à la splendeur du banquet offert aux revenans. Tout ce qui pouvait manquer au ménage du bourgmestre fut fourni par le schloss, Mamzelle Westphalen confectionna un punch monstre sous le contrôle et avec les conseils de l’amtshauptmann. Luth le