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états du nord. Si surtout ils parvenaient à s’emparer du général Grant, à en faire leur candidat pour l’élection prochaine, ils étaient assurés de redevenir les maîtres, et la présidence était à eux.

Le vainqueur de Richmond était dès lors l’homme indispensable dont tous les partis convoitaient la conquête, et sur lequel ils tenaient les yeux fixés. Jamais candidat populaire n’avait vu ses faveurs aussi ardemment disputées par tous les camps. Chacun sentait que le sort de la campagne électorale était déjà dans ses mains, et que la victoire appartenait d’avance au parti qui aurait l’heur de lui plaire ; mais jusqu’alors ses préférences étaient incertaines, et l’on eût dit qu’il mettait une sorte de coquetterie à intriguer tout le monde à la fois. Si tant est qu’il eût déjà une résolution prise, personne n’en avait encore obtenu la confidence. Par un excès de prudence et de réserve qui pouvait passer pour de l’indécision, et qui n’était au fond que de l’habileté, il évitait soigneusement de se prononcer sur la politique générale, il ne laissait échapper aucune parole qui ressemblât à un engagement ou à une promesse. En vain les deux partis l’assiégeaient de flatteries et de caresses, en vain leurs députations allaient le poursuivre jusque dans sa maison et lui faire subir ces interrogatoires à brûle-pourpoint auxquels tout homme public américain est exposé à chaque heure de sa vie ; il accueillait poliment leurs avances, il les remerciait brièvement de leurs offres de service, mais il éludait leurs questions avec une brusquerie toute militaire, et il se dérobait à l’examen avec une rondeur pleine de finesse. Quand on l’interpellait en public, il se tirait d’affaire en disant qu’il ne connaissait pas l’art de la parole, et qu’il n’avait aucun désir de le cultiver, mais que ses concitoyens l’avaient vu à l’œuvre, et qu’ils pouvaient le juger par ses actions. Quand un ami tâchait de surprendre sa pensée ou de lui arracher un aveu, il détournait très adroitement la conversation. Un jour que M. Wade, le président du sénat, essayait de le sonder et de le gagner à la politique radicale, il s’était mis à parler de chevaux avec une abondance extrême, et M. Wade n’avait pu obtenir qu’il passât à un autre sujet. Comparaissant une autre fois devant une commission du congrès comme témoin dans une enquête grave, et sommé de dire son avis sur des faits qu’il venait de faire connaître : « Est-ce un interrogatoire, s’écria-t-il, que l’on veut me faire subir ? Veut-on par hasard me mettre en jugement ? » Il aimait enfin à répéter qu’il n’était pas un homme politique, qu’il était un soldat, que son métier et son devoir étaient de servir le pays en gardant une rigoureuse obéissance aux lois. Sa conduite d’ailleurs était conforme à ce langage. Dans toutes les fonctions qu’il avait remplies depuis deux ans, et que lui avaient conférées soit le