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se plaisait à voir un signe de profondeur. Il semblait que le peuple américain, dégoûté par M. Johnson de l’espèce des présideras orateurs, eût résolu de mettre à sa tête ; un simple homme de bien, sans parti-pris ni prétention d’aucune sortes indépendant de toutes les factions qui se disputaient le pouvoir et incapable de s’en servir dans son intérêt personnel. Les républicains pouvaient être battus, les démocrates pouvaient ressaisir leur ancienne influence ; une seule chose paraissait dès lors certaine, c’est que le lieutenant-général Ulysse Grant serait le prochain président des États-Unis.

Cependant, malgré le doute qui planait encore sur sa résolution finale. il était visible que les sympathies du futur président penchaient vers les républicains modérés. Bien qu’il n’eût jamais pris une attitude hostile à l’égard de M. Johnson, il avait été le serviteur honnête et le fidèle observateur des lois du congrès. Les républicains d’ailleurs étaient ses compagnons d’armes, c’était en les servant qu’il avait illustré son nom, et il n’était pas homme à se séparer d’eux à la légère. Le danger en ce moment venait des républicains eux-mêmes. Tandis que les modérés faisaient de Grant presque un dieu, les violens du parti, qui ne pouvaient le souffrir, risquaient de le rejeter malgré lui dans les bras des démocrates. Les radicaux en effet l’avaient toujours vu d’un mauvais œil. Ils ne pouvaient lui pardonner ses premières tendances, ils se défiaient encore de lui comme d’un converti de la dernière heure, mal dégagé de l’ancienne idolâtrie et toujours sur le point d’y retomber. Ils avaient d’ailleurs contre lui toute sorte de griefs sérieux ou futiles : le général Grant avait été le rival heureux et presque l’ennemi privé de ce héros calomnié, le général Butler, le grand homme de guerre du parti radical, il avait accordé une capitulation honorable au général Lee, il avait montré trop de douceur aux états du sud, il s’était efforcé de rester neutre dans la querelle du président et du congrès. Enfin les radicaux se plaignaient de n’avoir jamais trouvé en lui qu’un serviteur sans enthousiasme et un exécuteur consciencieux, mais un peu froid, de leurs volontés. Ils lui en voulaient par-dessus tout d’être le candidat nécessaire et de fermer la voie à tous ceux qu’ils auraient voulu tirer de leur sein. D’après eux, c’était un homme médiocre, sans fermeté, sans principes, et, comme ils disaient, « sans idées. » M. Wendell Phillips ne pouvait prononcer son nom qu’avec un accent de mépris et de pitié. M. Horace Greeley lui-même déclarait dans la Tribune que, si les républicains nommaient le général Grant, ce serait de leur part un signal de détresse et un acte d’abdication volontaire. Il fallait à tout prix éviter cette honte en opposant à cette candidature pseudo-républicaine la bannière franche et radicale de M. Chase. Dans les réunions préparatoires où avait été mise en avant la