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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/668

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Ferme. A présent qu’on parlait de leur rendre les libertés qu’on leur avait prises, on allait, sous prétexte de rétablir l’indépendance de leurs institutions locales, les priver de cette protection devenue nécessaire, et les livrer sans défense à des ennemis tout-puissans. La guerre des races allait se ranimer sous une forme nouvelle, et c’était après l’avoir décimé par le moyen des incapacités électorales que l’on appelait le parti des blancs à l’épreuve inégale du vote. On permettait aux émissaires du parti radical d’exaspérer la race noire par des prédications fanatiques, et l’on refusait à leurs adversaires humiliés jusqu’à la protection innocente d’un droit de suffrage égal et libre. On ne se contentait pas de leur enlever la jouissance de leurs droits politiques, on combattait jusqu’à leur influence morale sur l’esprit des électeurs noirs. Les radicaux organisaient contre eux une croisade sous la conduite de quelques démagogues et de quelques aventuriers venus du nord, ou même de ces anciens sudistes qui s’appelaient mangeurs de feu du temps de la guerre, renégats aujourd’hui à leur propre cause, et empressés à se faire pardonner par leurs violences nouvelles le souvenir de leurs violences passées. L’un de ces chefs de bandes, un ancien clergyman du nom d’Hunnicut, qui publiait en Virginie un journal radical à l’usage des nègres, se faisait accompagner d’une escorte armée, comme un satrape, et postait une garde noire à la porte de sa maison. Par l’influence illimitée qu’ils possédaient sur la classe servile, ces hommes allaient devenir les véritables rois des états du sud. Ils allaient entrer au gouvernement, occuper toutes les magistratures, distribuer toutes les places à leurs lieutenans. Le simulacre d’élection que le congrès venait de leur enjoindre ne servirait qu’à légaliser l’oppression révolutionnaire. Telles devaient être aux yeux des hommes du sud les conséquences de la reconstruction prochaine. Autant les radicaux pouvaient la souhaiter, autant les hommes du sud devaient la craindre, et l’on conçoit bien avec quelle peine ils se résignaient à la subir.

Leur dernière ressource était l’abstention, et ils résolurent de s’abstenir en masse. Puisqu’ils renonçaient à obtenir la majorité des suffrages, l’abstention était pour eux le seul moyen d’échapper à la reconstruction fatale. Si plus de la moitié des électeurs refusait de voter, l’élection serait légalement nulle. L’abstention produirait ainsi, provisoirement du moins, tous les effets d’une victoire. Le plan de reconstruction serait écarté ou ajourné à des temps plus faciles. A supposer même qu’elle manquât son but, cette conduite avait d’autres avantages. En s’unissant dans une protestation muette à leurs concitoyens exclus du suffrage, les conservateurs du sud formaient un parti puissant, et faisaient mieux ressortir l’injustice d’un gouvernement appuyé sur les passions d’une minorité grossière, mais, si seulement ils pouvaient retarder l’œuvre des radicaux jusqu’à la