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sentimens de bienveillance que les blancs ont toujours nourris à l’égard des noirs. Qu’on abandonne donc les noirs à l’influence légitime des blancs, et la paix fleurira de nouveau dans les états du sud, » Cette déclaration était signée des noms imposans de Robert Lee, Alexandre Stephens, Beauregard et de beaucoup d’autres. Il n’est pas besoin de dire quel cas on dut faire de cette profession de foi après les événemens odieux et burlesques qui venaient de se passer en Géorgie. Jamais diplomates de profession ne reçurent un plus cruel démenti. Les noirs apprirent à ne pas compter sur les protestations d’amour des démocrates, et les démocrates durent enfin se convaincre qu’ils avaient perdu les voix des états du sud.


VI

Dans les états du nord, la lutte électorale n’était pas moins vive, mais elle avait un caractère différent. On s’y combattait avec des armes moins meurtrières, si ce n’est plus courtoises, et les gros mots remplaçaient généralement les coups de fusil. Le sang avait bien coulé deux ou trois fois dans les meetings populaires ; toutefois ces accidens sans importance aux États-Unis, et dont la justice n’était pas même saisie, ne troublaient ni le jeu régulier des institutions, ni la bonne intelligence des partis. Jamais pourtant campagne électorale n’avait été aussi ardemment disputée, jamais les politiciens des deux partis n’avaient à ce point payé de leur personne, et n’avaient accompli des travaux aussi surhumains. Les grandes chaleurs de l’été, qui furent terribles cette année en Amérique, et qui coûtèrent la vie à plusieurs milliers de personnes dans la seule ville de New-York, interrompirent à peine l’agitation populaire. Dans la plus petite ville, les partis étaient organisés, les clubs, enrégimentés, se promenaient tous les soirs avec leurs torches et leurs bannières, et se provoquaient les uns les autres comme s’ils allaient en venir aux mains. La plate-forme ne chômait pas un seul jour ; les meetings étaient presque en permanence sur les places publiques. Les malheureux orateurs, toujours sur les dents, arrivaient à un état de fièvre et de frénésie qui donnait à leur éloquence un surcroît d’énergie inusitée. Des deux côtés, ils faisaient appel aux plus mauvaises passions populaires, et ne songeaient qu’à renchérir les uns sur les autres d’injures, de calomnies et de menaces. Toute la nation semblait atteinte d’une espèce de folie furieuse. Les hommes jusqu’alors les plus modérés ne parlaient que de recourir aux armes et de se baigner dans le sang. Les gens timides croyaient à la fin du monde, et prédisaient la ruine de la république. Jamais la guerre civile n’avait paru si imminente. et jamais en réalité, pour ceux qui voyaient le dessous des choses, elle n’avait été aussi éloignée.