Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La violence même que les partis apportaient à ces luttes de parole prouvait qu’ils n’avaient aucune envie de recourir à la force. Plus ils faisaient de bruit autour de l’urne électorale, moins ils se préparaient à en contester la décision finale. La politique d’ailleurs ne faisait pas toute seule les frais de cette agitation si effrayante ; l’élection du général Grant n’était pas seule en jeu. Toutes les magistratures locales allaient être renouvelées en même temps, et la compétition du pouvoir entrait pour une grande part dans l’animosité des partis. Candidats au congrès ou aldermen d’une bourgade, gouverneurs des états ou constables municipaux, membres des législatures locales ou receveurs des impôts d’un village, hommes en place ou hommes ambitieux d’y entrer à leur tour, tous combattaient pro domo sua avec la vivacité des petites ambitions, mais avec l’esprit conservateur qui les anime toujours : d’un côté, les républicains poussés au désespoir par la crainte de perdre le pouvoir, de l’autre les démocrates, affamés par une longue exclusion du gouvernement. C’était entre eux une sorte de tournoi brutal, un pugilat régulier où tous les coups étaient permis, mais après lequel les vaincus ne songeraient même pas à s’insurger contre le vainqueur.

La presse, s’il était possible, dépassait encore les violences de la place publique. Elle n’avait jamais été très estimable aux États-Unis ni très courtoise. Elle devenait furibonde et dégoûtante. Elle s’attaquait à la vie privée, aux mœurs, aux sentimens intimes des candidats ; elle pénétrait dans leur alcôve, elle répandait sur leur compte les obscénités les plus viles et les calomnies les plus révoltantes : gredin, traître, menteur, voleur, brute, bâtard, ivrogne surtout c’étaient les épithètes les plus douces de son vocabulaire accoutumé. On appelait, M. Seymour cet affreux scélérat. On racontait que M. Blair avait volé des cuillers d’argent dans sa jeunesse, et on lui donnait à cause de cela le surnom de « Spoony Blair. » Quant au général Grant, on l’appelait « le boucher ; » on l’accusait d’avoir fait massacrer de sang-froid des prisonniers, d’avoir volontairement laissé périr les soldats fédéraux, dans les prisons du sud. L’accusation d’ivrognerie, de toutes la plus méritée par les hommes de tous les partis, était si ordinaire qu’elle en était devenue presque banale. Un journal républicain publiait un long article sous le titre que voici : « Soûlerie de Frank Blair. Comment le candidat démocrate a passé son dimanche dans l’Iowa. On le rapporte ivre-mort dans son lit. » Le World de New-York, entretenait tous les matins ses lecteurs des copieuses libations du général Granit. Le Cross-democrat allait bien plus loin encore. Ce petit journal de province imprimé au fond d’une petite ville de 5,000 habitants avait acquis en quelques mois une publicité prodigieuse ; on en tirait jusqu’à 300,000 exemplaires. Son rédacteur, M. Pomeroy, encore inconnu