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logique des faiblesses humaines, il ne l’est pas suivant la logique du théâtre. Au contraire Léa, en résistant aux instances nouvelles de son amant, obéit à la morale du théâtre, et manque aux lois du cœur humain. De nouveau Paul Forestier nous trouve incrédules quand, touché par la grâce, il tombe aux pieds de sa jeune femme. Nous ne savons s’il était possible de dépoétiser Léa par un autre procédé ; peut-être aussi M. Augier, maintenant un plus juste équilibre entre la femme et la maîtresse, aurait-il dû faire Camille plus grande, comme une de ces jeunes filles fières dans le portrait desquelles il a excellé ; peut-être fallait-il à Paul Forestier une femme comme la Fernande du Fils de Giboyer ou la Francine de Maître Guérin.

Quoi qu’il en soit, le système de M. Augier est visible : il sacrifie la passion au devoir par les moyens mêmes avec lesquels ses devanciers sacrifiaient le devoir à la passion. Venu à point pour venger le sens commun contre Antony et ses pareils, on le nomma le poète du bon sens ; il fut déclaré chef d’école à titre égal, ex œquo, avec Ponsard. Certes le bon sens abondait chez Scribe ; mais de cette qualité on ne lui fit pas un titre d’honneur, il manquait trop de ce qui était nécessaire pour que son nom fût opposé aux noms des chefs du romantisme. Il n’apportait pas à la comédie l’éclat du style et le relief du vers pour le disputer avec honneur sinon au succès, du moins au souvenir du drame moderne. Que dis-je ? il y avait un vide considérable au théâtre, et pour le remplir Scribe ne suffisait pas. L’auteur de la Camaraderie est aussi parmi ceux que M. Augier a vaincus. Contre ceux-là, il a été l’homme du devoir, contre celui-ci le champion de la poésie, et il a été servi par une double réaction. Ne faut-il pas ajouter que son bon sens, plus élevé que celui de Scribe, répondait mieux aux besoins d’un temps plus sérieux ou plus triste ?

M. Augier porte dans toutes ses conceptions la marque indélébile de son origine : sa comédie philosophique raisonne plus qu’elle n’agit. Il n’argumente pas comme Ponsard ; ses allures rapides, souvent même précipitées, sa gaîté, ses saillies inépuisables, couvrent habilement la thèse morale qui est au fond de chacune de ses pièces. Quand le rideau tombe sur Gabrielle, sur Paul Forestier, sur les Lionnes pauvres, un logicien ne manquera pas de dire : « Il a raison ; » mais un observateur ne dira pas toujours : « Il a saisi la vérité. » L’auteur semble avoir résolu d’avance que Séraphine se fera enlever par le libertin qui paie ses dettes, que Paul Forestier sera touché par le dévoûment de sa femme, que Gabrielle aimera son mari pour la beauté de ses sentimens et l’éloquence de sa parole ; tout ceci convenu comme une conclusion à laquelle il faut aboutir,