Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une bien solide garantie, d’accord, mais ne demandons pas dès vertus trop pures au théâtre, et sachons gré à M. Augier d’avoir rendu quelque lustre à l’amour légitime, d’avoir brouillé pour la première fois après si longtemps le ménage immoral de la poésie et de l’adultère.

C’est pourtant une chose nouvelle que de voir dans le pays de Molière le théâtre prendre parti pour les maris ; aussi les apologies du mariage que nous a données M. Augier doivent une partie de leur succès à la nouveauté. Grâce aux plaisanteries de nos vieux poètes et aux déclamations de nos poètes modernes, le devoir avait pris un air de paradoxe ; à son tour, il a dérobé à la passion les armes mêmes dont elle se servait pour le combattre, c’est de bonne guerre. Quand il se donne pour aussi poétique et aussi beau que la passion, il est dans son rôle ; hommes du XIXe siècle, il nous prend par notre côté faible. Stéphane, l’amant de Gabrielle, semblait avoir pour lui l’imagination et tout ce qui fait descendre sur la vie humaine le rayon de la beauté ; avec lui seul, Gabrielle espérait trouver le nid d’amour qu’elle avait rêvé. L’auteur dépoétise Stéphane et l’union boiteuse à laquelle celui-ci veut river une épouse, une mère ; il le montre égoïste, cerveau creux, trompant un ami, préparant, pour contenter sa fantaisie, à celle qu’il aime un avenir honteux ou triste. Julien grandit de toute la hauteur d’où l’amant est précipité ; il commande l’admiration de Gabrielle, qui tend la main à son mari, à son poète ; c’est le dénoûment. Léa, la maîtresse de Paul Forestier, déguise mal son mépris dans une entrevue avec Camille ? la jeune épouse. Ainsi la passion ardente dédaigne la flamme conjugale, qu’elle fait pâlir, ainsi les orages d’une vie déchaînée font prendre en dégoût le calme plat d’un bonheur uniforme ; mais l’auteur dépoétise Léa, il la jette dans les bras d’un Beaubourg, d’un être de nature inférieure, personnage ridicule dans sa bonhomie sans défense, qui se prend au sérieux depuis le jour où il a pu se croire aimé. Camille, à force d’exaltation, Camille, qui veut mourir pour permettre à Paul d’être heureux, grandit aussi de tout l’abaissement de Léa ; elle s’impose à l’amour de son mari, c’est le même dénoûment retourné. Le procédé est identique dans les deux pièces : dans l’une, l’amant recule et s’efface devant le mari, dans l’autre la maîtresse devant la femme. Ce sont deux pendans qu’une vingtaine d’années sépare, et M. Émile Augier, achevant son évolution dramatique, est retourné à son point de départ aussi bien que toute la génération d’auteurs dramatiques engagés sur les mêmes traces. Il s’en faut cependant que l’arrivée soit aussi heureuse que le départ. Paul Forestier succombant encore à la passion après que Léa s’est déshonorée peut être conçu suivant la