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lettre, d’ailleurs on ne peut plus courtoise et mesurée, et à laquelle au demeurant on ne saurait reprocher que d’avoir été publiée, car, s’il est des causes qui demandent à être portées devant le public, celle-là, par sa nature, appartenait au genre tout intime. D’ailleurs, pour peu que cette propagande épistolaire continue, il n’y aura plus moyen de s’y reconnaître. Nous ne sommes pas de ceux qui voudraient voir les administrations de théâtre militairement organisées comme à Saint-Pétersbourg, et, Dieu merci, nous ne regrettons point le régime du Fort-l’Évêque ; que penser pourtant de cette manie de porter au dehors des controverses qui, à l’exception d’un directeur et de sa pensionnaire, n’intéressent et ne regardent personne. Du moment qu’on s’était résolu à jouer cette partie de Faust, il convenait d’en bien calculer toutes les chances ; or, comme le succès est la première idée qui se présente en pareil cas, on s’est très judicieusement demandé ce que deviendrait ce succès, s’il fallait que le congé de Mlle Nilsson vînt l’interrompre au bout de six semaines. Mlle Nilsson créera donc Marguerite à l’Opéra ; puis, quand au mois de mai elle s’en ira pour ne revenir qu’en janvier, ce sera Mme Carvalho qui prendra le rôle. Ce métier d’étoile voyageuse a de tels avantages, qu’on peut aussi parfois en supporter les inconvéniens. Il faut bien songer à remplacer qui nous délaisse, et diviser un peu, sinon pour régner, du moins pour maintenir l’autorité d’une administration. Une deuxième étoile au ciel corrige l’autre, et personne ainsi ne fait la pluie et le beau temps.

Une illustre existence vient de disparaître sans que l’émotion dans Paris ait été bien grande. La mort de Rossini n’aura pas causé, la moitié seulement de l’impression qui suivit, on s’en souvient, la mort de Meyerbeer. C’est que Meyerbeer fut enlevé debout, en plein combat ; le coup qui le frappait tuait en même temps toute une postérité d’œuvres nées ou à naître, d’idées et de formes flottant dans les limbes de son cerveau infatigablement surexcité. Par là ce coup devenait vraiment un deuil public. La fin de Rossini n’a rien eu de ce prestige militant. L’auteur de Guillaume Tell avait, depuis quarante ans environ, renoncé à toutes les pompes du monde et du théâtre pour se confiner dans les relations et les jouissances domestiques. S’il écrivait encore, c’était en dehors du mouvement des esprits, et, comme Ingres composa ses derniers tableaux, en n’exposant plus. Aussi bien des gens pouvaient le croire mort, lorsque voici quelques semaines le bruit se répandit des atroces souffrances au milieu desquelles succombait ce génie jusque-là si favorisé de tous les dons. C’est un martyrologe en effet que l’histoire des derniers momens de cet homme pour qui le destin semblait n’avoir encore jamais eu que des couronnes et des sourires. Nous reviendrons sur cette grande existence, que nous avons déjà ici même à diverses reprises et une fois surtout bien longuement étudiée[1]. Laissons passer en

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 mai 1854.