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si paisible d’habitude, voit parfois arriver des gens effarés qui tirent de leurs poches des couverts d’argent et des boîtes de montre. Dans les époques de révolution, la peur va beaucoup plus vite que le raisonnement, et chacun paraît craindre de manquer du strict nécessaire. L’argent, qui de sa nature est fort timide, se cache si bien qu’on ne sait où le retrouver, et alors on accourt à la Monnaie. En 1848, 35,233 kilogrammes 877 grammes d’argenterie[1] ont passé par le bureau du change. Les employés contemporains de ces temps de panique et de désarroi parlent encore avec regret des magnifiques pièces de vaisselle plate, des médailles, des bijoux charmans, qu’ils ont été obligés de livrer à la fabrication, qui les a martelés et mis à la fonte.

Le bureau du change reçoit les métaux précieux, mais il ne les encaisse pas ; il les remet immédiatement contre décharge au directeur de la fabrication, qui dès lors, et pour un certain temps échappant à tout contrôle, devient maître absolu de ses opérations, fait faire les essais, et détermine les alliages comme il l’entend, à ses risques et périls. La fonderie d’or et la fonderie d’argent ne sont pas contiguës ; on a eu soin de les séparer, elles ne sont ni dans le même corps de logis, ni au même étage, et l’on évite ainsi toute confusion possible. Les métaux sont expédiés aux ateliers de fonte avec un bulletin indiquant le titre, le poids et la proportion précise de cuivre rouge qu’on doit ajouter à l’or et à l’argent. La quantité de matière est toujours calculée de façon à suffire à un nombre de pièces déterminé par les règlemens (ce nombre est de 10,000 pour les pièces de 20 fr.). L’atelier des fontes d’argent est une large salle éclairée par des fenêtres où des grilles et des treillages ne laissent pénétrer qu’une lumière incomplète ; contre les murailles sont appuyés les fourneaux, vastes récipiens fermés par une porte de fer, où l’on entasse le charbon et dans lesquels on place les creusets en terre réfractaire. On a soin d’échauffer graduellement ces derniers avant de les mettre au feu : les lingots et l’alliage sont pesés et jetés au creuset. Lentement la consistance du métal s’ébranle, la forme carrée du lingot s’adoucit peu à peu sur les angles, se creuse vers la partie moyenne, semble hésiter, oscille, devient de plus en plus indécise, se désagrège, perd ses contours, et prend l’aspect d’une sorte de gâteau qui bientôt se liquéfie. Sur cette matière molle, on jette des charbons de bois allumés, non pas pour activer la chaleur, comme on pourrait le croire, mais pour brûler sur place les vapeurs de cuivre et éviter l’oxydation du métal fin. A l’aide de longs crochets de fer, on remue le foyer, dont la lueur blanche piquée de tons

  1. Représentant une valeur brute de 7,046,775 fr. 40 cent., et le quadruple au moins, si l’on considère le prix d’achat.