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ils ont bavé à travers les interstices du moule et ressemblent assez bien à un énorme couteau ébréché. On les passe alors sur une cisaille circulaire qui avec certitude et rapidité enlève toutes les parties saillantes ; lorsque la lame est ainsi ébarbée, elle est portée à la salle des laminoirs.

Cette salle est bruyante, pleine, d’engins retentissans que met en mouvement une machine à vapeur de quarante-six chevaux. Une série de laminoirs gradués reçoit successivement, comprime et écrase les lames qu’on y fait glisser. Quand une lame a passé douze fois sous les cylindres des laminoirs, le métal est écroui, c’est-à-dire qu’il a acquis un degré de densité tel qu’une nouvelle pression le briserait. Alors, pour rendre l’équilibre naturel aux molécules qui le composent, on le met au four afin qu’il y soit recuit. Les lames, placées sur une sole tournante, sont alternativement et régulièrement léchées par les langues d’un feu de charbon clair et ardent qui leur donne une certaine malléabilité ; dix fois encore après cette opération, on les soumet au laminage, puis on recuit de nouveau. La lame est alors bien près d’être terminée, mais il faut qu’elle subisse une dernière préparation qui la rendra tout à fait propre à être monnayée. Elle est placée sur le dragon, qui n’est autre chose qu’un banc à tirer dans lequel le métal, entraîné par une chaîne sans fin à travers une ouverture oblongue ménagée entre deux surfaces d’acier, acquiert une égalité d’épaisseur irréprochable. Si mathématiques que soient les mouvemens des laminoirs et du dragon, ils peuvent cependant être restés en-deçà du but qu’on se proposait d’atteindre ou l’avoir dépassé. On saisit la lame, qui maintenant est de venue une bande[1] ; à l’aide d’un emporte-pièce, on y enlève trois flans, un au centre, un à chaque extrémité, et on les pèse ; s’ils sont trop lourds, la lame est étirée de nouveau ; s’ils sont trop légers, elle est reportée à la fonte. Si la différence n’est que minime, on la soumet à un découpoir dont la lunette est plus ou moins large, car la tolérance de deux millièmes en-deçà ou au-delà qu’on accorde à la fabrication, et qu’on nommait, il y a peu d’années encore, les remèdes du poids et de la loi, s’applique au poids, au titre et au module.

Le découpoir est mû aussi par la vapeur ; on n’a jamais vu un instrument plus pressé. Il se dépêche, il précipite ses coups, il fait plus de bruit à lui seul que tous les laminoirs réunis, il secoue l’établi sur lequel il manœuvre, il est franchement insupportable ; mais il peut tailler facilement 100,000 flans dans une journée. Un

  1. L’action des laminoirs et du dragon est considérable : une lame sortant de la lingoterie, ayant 8 millimètres d’épaisseur et 45 centimètres de long, a, lorsqu’elle est parvenue à l’état de bande, une épaisseur de 1 millimètre 3 et une longueur de 1 mètre 30 centimètres.