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même sur ce sujet par un savant justement estimé comme penseur et par un philosophe à qui ses confrères attribuent un rang des plus élevés[1]. Je voudrais à mon tour aborder, mais à un autre point de vue, les difficiles questions soulevées par le savant anglais. Naturaliste, c’est au nom des sciences naturelles seules que je parlerai. La doctrine de Darwin a été acclamée par les uns, anathématisée par d’autres ; toute une littérature spéciale reproduit et répète ces deux appréciations opposées. Or au milieu de ces tempêtes on a méconnu trop souvent, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, la signification et la portée réelle des idées de l’auteur ; amis et adversaires les ont parfois défigurées ou en ont fait découler des conséquences inexactes. Montrer au juste ce qu’elles sont, faire ressortir ce qu’elles renferment de vrai, mais aussi ce qu’elles ont d’inacceptable, examiner quelques-unes des déductions qu’on a cru pouvoir en tirer, tel est le but de ce travail.


I.


La doctrine de Darwin se résume en une notion simple et claire qu’on peut formuler ainsi : toutes les espèces animales ou végétales passées et actuelles descendent par voie de transformations successives de trois ou quatre types originels et probablement même d’un archétype primitif unique. Réduit à ces termes, le darwinisme n’a rien de bien nouveau. Si la majorité des partisans de cette doctrine partage plus ou moins la croyance qui en fait une conception toute de notre temps, la faute n’en est certes pas à l’auteur anglais. Avec cette loyauté parfaite qu’il est impossible de ne pas reconnaître dans ses écrits, Darwin a dressé lui-même et publié en tête de son livre une liste comprenant les noms de vingt-huit naturalistes anglais, allemands, français, qui tous à des degrés divers et d’une manière plus ou moins explicite ont soutenu avant lui des idées analogues ; mais il se borne à de courtes indications, et les quelques lignes qu’il consacre à chacun d’eux ne permettent ni d’apprécier la marche des idées, ni surtout de juger jusqu’à quel point se rapprochent ou restent séparés en réalité des écrivains qu’on pourrait croire unis par une doctrine commune. Un intérêt scientifique réel s’attache pourtant à cette étude, et il y a là une lacune à combler.

Je ne passerai pas en revue tous les ouvrages cités par Darwin. Il en est, je dois l’avouer, qui me sont inconnus ; il en est d’autres qui reposent sur des données trop différentes de celles qui doivent

  1. Voyez dans la Revue du 1er avril 1860 Une nouvelle Théorie d’Histoire naturelle, par M. Auguste Laugel, et dans celle du 1er décembre 1863 Une Théorie anglaise sur les causes finales, par M. P. Janet.