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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/868

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grès de la paix a proclamé les États-Unis de l’Europe. C’est à Genève enfin que, cette année même, la république sociale, formant un parti politique, a librement formulé ses prétentions. L’audace de ces entreprises ou de ces expériences prouve que nous sommes sur un terrain déblayé ; ce n’est plus à la ville de Calvin que nous avons affaire. L’association protestante s’est débandée, assaillie à la fois de dos, de front, de flanc, par le catholicisme, la philosophie et la révolution. C’est ce triple assaut qui sera le sujet et qui marquera les divisions du présent travail. Nous voudrions étudier successivement le mouvement religieux, le mouvement intellectuel et le mouvement social qui ont profondément modifié Genève et les Genevois. Nous pourrons ainsi passer en revue la ville entière et ses habitans, l’église, l’école et la rue, les prêtres, les savans et le peuple.


I.

L’histoire du catholicisme à Genève est encore à faire. On croit communément qu’il fut anéanti du premier coup par la réforme ; on a tort. Nous savons que François de Sales vint à Genève, non sans péril, et qu’il eut avec Théodore de Bèze une ou plusieurs conférences dans lesquelles « le gracieux saint, » — c’est un mot de M. Sainte-Beuve, qui raconte l’entrevue, — essaya inutilement de convertir, même de séduire le réformateur. En ce temps-là, des catholiques fervens, malgré la persécution calviniste, s’obstinaient à mourir en criant Jésus-Maria ! D’autres allaient prier furtivement dans des villages de Savoie, notamment à Monetier, et portaient des cierges à tous les saints du voisinage. Quelques-uns, plus prudens, faisaient semblant d’être bons protestans et se présentaient même à la cène ; mais, au lieu de manger le pain substitué à l’hostie, ils le cachaient dans leur sein. Il est vrai que ce reste de catholicisme avait à peu près disparu à la fin du XVIe siècle ; toutefois Genève était sur ses gardes, sans cesse armée contre l’ennemi. Un édit de 1609 menaçait les apostats du bannissement, défendait aux bannis de rentrer sous peine de mort. Quand l’évêque d’Annecy vint faire une visite pastorale au Grand-Saconnex, à une lieue de Genève, le clergé calviniste recommanda aux Genevois de ne point aller se promener de ce côté-là ; une amende de 10 écus fut infligée aux promeneurs. Cependant les Genevois n’écoutaient pas toujours les conseils de leurs ministres. L’évêque comptait parmi eux sinon des partisans, au moins des amis. François de Sales avait habilement entouré le territoire genevois de maisons religieuses, de couvens de capucins et aussi de jésuites ; ces capu-