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démocratie ; le suffrage universel attribuait au serviteur le poids du maître, et à l’illettré la compétence du savant.

D’autre part, M. Fazy n’était pas plus protestant que catholique, et pouvait conserver dans les débats religieux la plus impartiale indifférence. Sa profession de foi, qu’il fit un jour au grand-conseil, se résumait en ces termes : « je ne dis pas que je crois ou que je nie ; je dis que je ne sais pas. » Ce n’est pas tout, l’église catholique n’avait rien à perdre au changement, son intégrité ne pouvait être entamée, tandis que l’église protestante fut amoindrie comme puissance : les membres du consistoire et les pasteurs furent soumis à l’élection populaire. Cessant d’être les dépositaires et les interprètes des dogmes anciens, ils devinrent de simples représentais du peuple religieux, des députés élus pour soutenir publiquement les croyances courantes. M. Fazy d’ailleurs fut, on le sait, un intrépide destructeur : les « gens du haut » renversés, les murs de la ville abattus, l’académie mutilée par des destitutions, tous ces coups et beaucoup d’autres frappèrent la vieille Genève, dont Rome depuis trois siècles réclamait l’anéantissement. Après la démolition des remparts, les étrangers entrèrent, et obtinrent sans peine pour un peu d’argent le titre de citoyens ; cette immigration accrut à vue d’œil la population catholique. Au reste, en s’alliant, catholiques et radicaux se trompaient un peu les uns les autres. « Assurément, disait en 1849 l’évêque de Lausanne, je ne puis approuver M. Fazy ; mais il fait si bien nos affaires en renversant toutes les institutions protestantes qu’on aurait tort de voter contre lui. Il faut le garder encore trois ou quatre ans pour qu’il achève son œuvre. » L’évêque voyait juste ; les catholiques suivirent ses conseils et n’eurent point à s’en repentir. Ils arrivèrent à gouverner Genève non par le nombre, encore moins par l’intelligence, mais par les avantages de leur situation. Indifférens aux questions politiques, ils se trouvaient placés entre les conservateurs et les radicaux, qui étaient à peu près d’égale force, comme l’appoint nécessaire pour parfaire une majorité. Ils pouvaient donc se donner aux plus offrans sans fausse honte, puisqu’il s’agissait d’intérêts religieux ; or les plus offrans ne pouvaient être les conservateurs, qui regrettaient la vieille Genève. Rome envahissante vota donc fidèlement et votait hier encore pour M. Fazy. Cet homme d’état « passionné en politique était sans passion en religion ; » il aimait le Dieu des bonnes gens, celui qu’on adore le verre en main, et voulait qu’on pût aller même à la messe. Il tança un jour assez vertement les hommes de son parti, ses collègues au pouvoir, qui s’étaient montrés peu courtois envers l’évêque de Lausanne. Il résulta de tout cela un extraordinaire développement du catholicisme. En 1857, l’église de Notre-Dame fut