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inaugurée par un discours triomphal d’un citoyen genevois, l’abbé Mermillod, qui entrait en scène ; cet édifice, construit sur un terrain concédé gratuitement par l’état, fut appelé « la cathédrale-citadelle, le temple de la liberté. » Élevé à quelques pas de la gare du chemin de fer, il attire le premier coup d’œil des arrivans, et commande la nouvelle ville, celle qui développe sur la rive droite du Rhône, à côté du faubourg plébéien de Saint-Gervais, ses quais somptueux, ses larges rues bordées d’hôtels et peuplées d’étrangers ; il s’y ouvrait même une maison de jeu. C’est la Genève radicale et catholique opposée de toutes manières à l’ancienne ville, qui étage sur la rive gauche du fleuve un entassement de hautes maisons coupé de ruelles sombres et dominé par les deux tours de Saint-Pierre, le temple protestant. Enfin, l’immigration amenant chaque jour de nouveaux renforts, le dernier recensement décennal donna des chiffres imprévus qui ont suscité bien des inquiétudes. En 1850, le canton de Genève comptait 34,212 protestans et 29,764 catholiques. En 1860, les catholiques étaient 42,099 et les protestans 40,069.

Dès lors Rome ne connut plus d’obstacles ; elle voulut séparer Genève du diocèse de Lausanne et ériger en évêché la cité de Calvin. C’eût été sans doute une gloire pour le pontificat de Pie IX de rétablir ainsi d’autorité le siège de François de Sales ; mais l’entreprise n’était pas facile. L’abbé Vuarin, qui l’avait tentée deux fois, et qui, pour la faire réussir, s’était rendu à Rome, n’avait pu la mener à bonne fin. C’est que l’église catholique de Genève n’est point libre comme celle d’Angleterre ; elle dépend de l’état, qui l’a reconnue et qui l’entretient. Quand elle se détacha malgré Vuarin du diocèse de Chambéry pour être annexée à celui de Lausanne, ce fut à la demande du gouvernement genevois traitant avec le saint-siège, et quand l’évêque de Lausanne obtint le droit d’ajouter à son titre le nom de la nouvelle paroisse, nous l’avons déjà dit, ce fut seulement pour l’honneur. Il était donc malaisé de déchirer une convention provoquée et consentie à Genève par le pouvoir civil. D’un autre côté, il était assez tentant pour le pouvoir spirituel de s’attribuer un nouveau droit et d’essayer sa force en pays libre, sur un terrain neutre où l’on peut tout dire et tout faire impunément. On agit donc en tapinois, sans précipitation, sans fanfares ; l’abbé Mermillod, citoyen et curé de Genève, était un orateur élégant et un homme d’esprit ; on le fit évêque d’Hébron in partibus infidelium. Hébron est l’ancien nom d’une petite ville de Palestine ; ce titre n’avait rien d’inquiétant. M. Marilley, l’évêque reconnu de Lausanne et de Genève, fut chargé d’annoncer la nouvelle au conseil d’état. Il déclara que cette nomination ne changeait rien à