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à toute distinction de territoire et à toute inégalité de droits. qui pourrait résulter des traités ou d’une différence d’origine entre les citoyens du canton. » Les frères ennemis seront désormais traités comme frères jumeaux ; c’est ainsi que l’église romaine a gagné quelque chose à toutes les révolutions de Genève. L’occupation française lui a donné une existence officielle, les traités de 1815 lui ont procuré un troupeau, le régime radical lui a valu une puissance politique, le régime indépendant a détruit les derniers privilèges des anciens réformés. Malgré tous ces succès, Rome n’a pas repris Genève. L’ultramontanisme n’a pu entrer dans ce pays républicain qu’en bonnet rouge et la soutane retroussée. M. l’évêque d’Hébron lui-même passe pour libéral, et l’est peut-être ; en tout cas, il n’a jamais ouvertement attaqué la civilisation. Il écrit des mandemens où il tâche de se prouver que l’église n’est point en désaccord avec le siècle. Rien de plus ingénieux que sa défense du Syllabus. Ne pouvant à Genève attaquer la liberté des cultes, à tout moment invoquée en faveur de son troupeau, il affirme que cette liberté, malgré l’erreur de son principe, peut être pratiquement un progrès relatif et même désirable. Pie IX la voudrait voir consacrée en Russie et la permet à Rome, où il tolère des juifs et même des protestans. Le pontife-roi est donc conduit par son double caractère à se désobéir. Il aurait le droit de s’excommunier ; s’il n’en fait rien, c’est pure tolérance. Tels sont les argumens irrévérencieux que le catholicisme genevois, c’est-à-dire républicain et démocratique, est forcé d’invoquer. Tel jeune chef avoué du parti ultramontain affiche les opinions les plus radicales ; il désavoue l’encyclique, et n’est ultramontain que de nom. De là cet aveu significatif d’un prêtre qui voyait clair. « A supposer que nous prenions Genève, disait-il, le siège nous aura coûté 20,000 âmes. » L’unique moyen de conquête en effet dans ce pays du suffrage universel, c’est l’immigration : il faut une foule de voix à opposer aux voix protestantes ; mais, à peine entrés dans la ville libre, les papistes, quittant l’église, deviennent esprits forts. Ajoutons que l’immigration, moyen déjà coûteux, ne suffit pas pour faire des électeurs ; il faut que les nouveau-venus deviennent citoyens, ce qui grossit les frais de propagande : aussi la plupart d’entre eux restent-ils étrangers, ce qui fait que la majorité catholique dont nous parlions plus haut est une majorité d’habitans, non de citoyens ni d’électeurs. En 1860, il y avait à Genève 28,700 étrangers appartenant pour la plupart au culte romain. Les étrangers déduits, il ne resterait à M. l’évêque d’Hébron qu’un tiers de la population genevoise, et dans ce tiers les notabilités se comptent, il n’y en a pas vingt. Ces paroissiens d’ailleurs ne vont pas tous à l’église, il y a parmi eux beaucoup de voltairiens. L’an