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pècheresses, n’ayant que le nom de Dieu à la bouche et ne parlant que « le patois de Chanaan. »

Le méthodisme scinda l’association protestante, battue en brèche d’autre part par un groupe de poètes badins. Les écrivains à Genève, du moins les plumes légères, ont toujours été de l’opposition. Dès la réforme, Bonivard avait marqué comme libre penseur, comme libre croyant, si l’on veut, non comme calviniste. Il avait l’esprit vif et ouvert, l’œil pénétrant, du mordant et de l’aisance ; il mériterait d’être mieux connu. Ce fut encore un homme de combat qu’Agrippa d’Aubigné, le poète huguenot des Tragiques ; mais Calvin, maître de sa langue, ne l’avait point léguée à Genève, où s’épaissit un jargon dense et lourd, le style réfugié. Les lettres étaient négligées dans la petite république ; un observateur étranger et d’autant plus attentif, Grégoire Leti, prétend qu’au XVIIe siècle on y faisait si peu d’études classiques « que bien souvent le sénat ne savait où trouver un secrétaire d’état qui entendît passablement le latin. » Les lettres étaient non-seulement négligées, mais un peu méprisées par la plupart des théologiens et des naturalistes ; ce dédain persiste aujourd’hui. Jean-Jacques ne devint écrivain que parce qu’il quitta son pays ; il n’y eût fait que de l’horlogerie ou de la botanique. S’il fut Genevois par l’esprit et le caractère, il ne le fut point par la langue ; il ne garda du terroir qu’un petit nombre de mots qu’il rendit français et peut-être aussi le goût de la prosopopée, qu’il put tenir des prédicateurs. Sa gloire et son autorité revinrent de France ; mais il ne fut pas prophète dans son pays ou du moins dans le monde qui gouvernait son pays. Plébéien, il n’eut d’influence que sur le peuple, sur l’opposition, déjà frémissante, et sur les jeunes gens, qui pensent par le cœur ; il fut l’inspirateur d’une âme ’ardente qui, comme lui, fit de la passion une vertu. Femme du monde et agissant sur des hommes du monde, Mme de Staël éleva Rousseau sur un piédestal ; ceux qui revinrent de Coppet en rapportèrent le culte du « citoyen de Genève. » On ne brûla plus ses livres, on lui érigea des statues, et dès lors son influence fut très marquée sur les écrivains genevois, notamment sur le plus illustre et le mieux doué de tous, Rodolphe Tœpfler. Cependant Voltaire, hôte de Genève, avait agi plus immédiatement sur elle : il possédait un château, grand moyen d’influence ; il donnait chez lui la comédie, et des pasteurs y allaient ; puis il avait l’esprit vif et net, armé de petits faits et d’argumens précis, toutes choses qui plaisent aux Genevois. Enfin il attaquait bien plus rudement l’influence de Calvin en combattant à la fois la ligueur des dogmes et la rigidité des mœurs. Aussi fit-il école ; on lui emprunta non ses idées, trop radicales en religion, pas assez en politique, mais son