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l’émotion par laquelle ces virginales figures s’emparent du spectateur qu’à la double sensation de la neige, dont le premier contact si froid se transforme en une douce chaleur. Elles sont aisément pieuses, aisément chastes, et c’est de cette aisance que naît leur charme ; elles ne connaissent ni les pénibles grimaces de la vertu acquise, ni la sécheresse et l’air revêche de la vertu contrainte, ni les douloureuses contorsions de la vertu volontaire. Jamais l’ombre d’une pensée coupable n’a traversé même furtivement leurs cœurs. Jamais la curiosité ne les a fait approcher de l’arbre du bien et du mal, jamais l’expérience ne leur a fait soupçonner que l’antique serpent glissait sous les fleurs des belles pelouses qu’elles foulent. J’ai souvent pensé que la vertu était fort calomniée en ce monde ; on la considère d’ordinaire simplement comme l’opposé des passions, tandis qu’elle est elle-même une passion, la plus belle, la plus indéracinable de toutes, la seule éternelle. Il est des âmes pour qui la vertu est une nécessité de nature comme la propreté pour les Hollandais, le comfort pour les Anglais et le caviar pour les Russes. C’est une passion, et Hemling s’est chargé de montrer, que c’était la grâce souveraine. Mais quelle âme honnête ce dut être que celle de ce bon Hemling ! A mesure qu’on regarde ses œuvres, on sent s’élever dans son cœur l’étrange regret de ne pas l’avoir connu, et le désir de le voir un jour, s’il est vrai que les esprits peuvent se rencontrer dans l’éternité. Il donne la nostalgie de ce ciel vers lequel ses saintes élèvent leurs prières, ne fût-ce que pour l’y voir, tant est intime la sympathie qu’il inspire. Si l’on jugeait de la sainteté des hommes d’après leurs œuvres, et si l’on canonisait des artistes, personne ne mériterait mieux l’auréole qu’Hemling. En tout cas, il est un emploi moral de ses œuvres auquel on n’a pas encore pensé, et qui leur convient à merveille ; ce serait d’en faire de jolis albums, pas plus grands qu’un livre de dévotion, et de les donner aux jeunes artistes avec injonction de les parcourir une fois par semaine en leur disant : « La carrière de l’art est sujette à bien des égaremens, l’imagination à bien des témérités qui, même heureuses et couronnées. de succès, sont quelquefois peu avouables ; le talent n’est pas toujours uni à la conscience et n’a pas toujours des scrupules sur les voies et moyens par lesquels il peut frapper la foule, le but qu’il cherche est souvent plus éclatant que haut, et, s’il faut traîner l’art dans une voie impure pour se faire applaudir, on ne résiste pas toujours à la tentation : eh bien ! au milieu des folies de la mode, des paradoxes de l’atelier, des entraînemens de la jeunesse et des ardeurs du sang, jetez régulièrement les yeux sur ces images, et vous sortirez de cette contemplation protégés, purifiés, fortifiés. »