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Pour l’expression de la ferveur, Hemling peut lutter avec Van Eyck : qui pourrait jamais oublier les figures du Mariage mystique de sainte Catherine ? Cependant il s’en faut de beaucoup qu’il ait au même degré que Van Eyck l’élévation mystique. Bien souvent nous avons entendu citer à son sujet les noms de Dante et d’Ange de Fiésole, et nous avons même lu l’épithète d’ascétique employée pour caractériser l’expression de ses figures. Il y a là, croyons-nous, un léger oubli des nuances. Hemling n’ouvre pas d’aussi hautes portes du ciel que les grands mystiques italiens, et ses personnages ne nous conduisent pas plus loin que ce ciel de la lune, le premier des cercles paradisiaques de Dante, où vivent dans une chaste béatitude, à l’état de reflets et d’images sans corps, les âmes virginales ; c’est là que se rencontrent sainte Ursule et ses compagnes eu société de Piccarda et de Constance de Souabe. Ces figures d’autre part ne sont point ascétiques, elles sont sérieuses et pieuses. La candeur et la pureté naïve, voilà les sentimens qui respirent dans Hemling, sentimens qui chez lui sont d’une telle perfection, qu’ils donnent l’illusion de vertus d’essence plus haute. Les personnages d’Hemling sont des anges ; mais ils n’ont rien de commun avec les chérubins justiciers à l’épée de feu ou les enthousiastes séraphins qui se fondent dans l’extase de l’amour divin.

Avec Hemling, la peinture, exclusivement consacrée dans Van Eyck à l’expression des sentimens lyriques de l’âme, la piété, la ferveur, l’adoration, devient dramatique sans perdre son précédent caractère. Le plus frappant de ses tableaux sous le rapport dramatique est le triptyque de la Descente de croix, que j’ai déjà signalé en parlant de Rubens, et qui, je ne sais pourquoi, n’est pas estimé à l’égal de ses autres œuvres. En chicanant un peu, on pourrait, il est vrai, dire que cette peinture est plutôt lyrique que dramatique, que c’est une élégie plutôt qu’une scène ; en tout cas, elle est pathétique à l’excès. Là où ce dramatique se déploie avec son véritable caractère, que nous avons nommé anecdotique, c’est dans sa décoration de la Châsse de sainte Ursule, la plus charmante non-seulement des œuvres du maître, mais probablement de toutes les peintures existantes. C’est un véritable roman en peinture que cette légende de sainte Ursule et des onze mille vierges, car ces miniatures se distinguent par cette abondance de détails et cette lenteur d’action qui caractérisent la narration romanesque. Cette œuvre est attachante comme un récit, et il semble, à mesure qu’on la regarde, que les sens puissent être transposés, et qu’il soit possible d’entendre aussi bien que de voir par les yeux. Quelle exactitude minutieuse dès les premières scènes, j’allais dire dès les premiers chapitres ! La légion des vierges s’embarque avec Ursule ; Hemling n’a omis