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envisagea les faits à un tout autre point de vue que celui de M. Mill. Parmi les candidats libéraux auxquels M. Bradlaugh faisait concurrence se trouvaient deux anciens membres du parlement, M. Charles Gilpin et lord Henley. Le premier, M. Gilpin, est un quaker dont le caractère honorable et les opinions désintéressées commandent le respect de tous ; le second, lord Henley, quoique plus timide, avait aussi donné des gages de fidélité à la cause des whigs. L’électeur indécis, ne sachant où donner de la tête entre tant de candidatures rivales[1], demandait à M. Bright de l’éclairer. Celui-ci, tout en se défendant d’intervenir dans une querelle de famille, répondit qu’il ne voyait aucune raison pour remplacer les deux anciens représentans de Northampton, dignes l’un et l’autre de la confiance de leurs mandataires. Ce conseil déplut naturellement à M. Bradlaugh, qui écrivit au député de Birmingham. Dans une autre lettre, adressée cette fois à M. Bradlaugh lui-même, M. John Bright réclamait en faveur de ses deux collègues la reconnaissance due à des services passés. « Choisir, ajoutait-il, dans tous les cas l’homme le plus avancé uniquement parce qu’il est le plus avancé, ce serait mettre aux enchères la représentation nationale, et le plus offrant serait alors sûr de remporter le prix. » Il était difficile de se dissimuler ce que ce dernier trait avait de personnel. La réponse de M. Bright fut accueillie avec faveur par les journaux anglais, et lui valut autant d’éloges que la conduite de M. Mill avait soulevé de blâme. Au fond, l’un avait agi en homme politique et l’autre en penseur. L’avis du député de Birmingham était à coup sûr très sage ; mais le député de Westminster avait-il tout à fait tort ? La question de majorité à laquelle M. Bright attachait tant de prix ne suffisait point à l’esprit intrépide et un peu aventureux de M. Stuart Mill. Autour de M. Gladstone, dont le succès comme-chef du futur cabinet semblait assuré, il eût voulu voir un petit groupe d’hommes zélés pour le progrès, quelques-uns de ces jeunes soldats a dont en politique comme à la guerre l’ardeur enflamme le chef, et le pousse vers de véritables exploits. »

Une autre difficulté très grave était celle des candidatures ouvrières. Les travailleurs de la Grande-Bretagne avaient pris une part active au mouvement de la réforme électorale. On se souvenait d’avoir vu tout dernièrement défiler dans Londres l’armée et les enseignes des ateliers. Le rêve des artisans anglais était de faire arriver quelques-uns des leurs à la chambre des communes. Ne devait-on pas cette mince récompense aux services très réels qu’ils avaient

  1. Il y en avait une quatrième, celle du docteur Frédéric Lees, un lecturer des sociétés de tempérance.