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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


les assises d’un établissement régulier, il se donne des lois appropriées aux phases diverses de cette évolution tumultueuse, il passe d’une sorte de féodalité patriarcale à la dictature militaire, de cette dictature à une monarchie constitutionnelle. La cité s’élève, l’état s’organise ; les politiques ont succédé aux hardis chefs de bandes. Tout cela est l’affaire d’un demi-siècle. Tel est le tableau que nous allons essayer de reproduire. Quand l’occasion se présente d’étudier à la clarté du soleil des choses qui d’ordinaire se cachent dans la nuit des âges, n’est-ce pas une bonne fortune pour la philosophie de l’histoire ? Prenons garde d’encourir le reproche adressé par Tacite aux érudits de son temps : vetera extollimus, recentiorum incuriosi.


I.

On comprendrait peu l’héroïque élan d’où est sortie la régénération des Serbes, si on ne se rappelait d’abord ce qu’était sous le joug ottoman le peuple des Douschan et des Lazare. Une longue période de gloire suivie d’une période plus longue encore de misères, de souffrances et de honte, voilà, du ixe au xixe, l’histoire de la Serbie. Mille années divisées en deux parts, l’une éclatante et heureuse, l’autre sombre et horrible ! Même aux jours où les pachas semblaient avoir tout étouffé dans la nation vaincue, ce contraste lui est toujours resté présent. En vain la vieille cité des rois serbes n’était plus qu’un monceau de ruines, en vain les Turcs régnaient à Belgrade, remplissaient toutes les villes, occupaient toutes les forteresses ; dans les forêts, sur les montagnes, au fond des vallées inaccessibles, bien plus, à l’ombre des monastères déchus, sous les haillons de l’ignorance et de la superstition, un sentiment opiniâtre entretenait le souvenir des anciens chefs et des années glorieuses.

L’histoire de cette ancienne Serbie est encore à faire. Les érudits qui la connaissent le mieux y signalent d’immenses lacunes. Avant qu’on puisse l’écrire avec quelque certitude, dit M. Léopold Ranke, il faut que les documens ecclésiastiques du moyen âge, la vie de saint Siméon, la vie de saint Sava, les chroniques de l’archevêque Daniel et de ses successeurs, soient publiés dans un texte authentique. La période où les Serbes, à peine convertis au christianisme par Cyrille et Méthode, se trouvent obligés de faire leur choix entre l’église latine et l’église grecque est assurément une période décisive dans leur destinée. C’est au ixe siècle, on le sait, que les deux apôtres des Slaves ont accompli leur mission ; presque en même temps éclate le schisme qui sépare l’église d’Orient de l’église occidentale. De quel côté se tourneront les Serbes, surtout quels