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Quelques esprits légers ou prévenus se diront peut-être qu’avec tant d’influences pesant sur la société les élections anglaises ne sont pas après tout beaucoup plus libres que les nôtres. Il me serait impossible d’admettre une telle assimilation. Ces abus de pouvoir que nous avons signalés, tout le monde peut les atteindre et exiger qu’ils soient punis. Ces armes prohibées à la guerre, le premier venu est en droit de les saisir et de les briser dans les mains de ses adversaires. Ces obstacles à la sincérité des élections, qui n’a mille fois le moyen de les dénoncer et de les flétrir ? Une publicité sans égale en Europe veille sans crainte autour des faibles et des chancelans. La nation tout entière marche au combat couverte par l’impénétrable bouclier de la loi. Nos voisins n’ont point à lutter contre un gouvernement irresponsable de ses actes, contre une administration qui se place, elle-même au-dessus de la justice des tribunaux. L’ouvrier et le fermier anglais savent très bien à quoi ils s’exposent en résistant à la volonté de leurs maîtres ; ils peuvent être contraints de chercher du travail ailleurs. Parmi les séductions et les menaces, il n’en est aucune après tout que ne puisse défier une conscience virile. Ceux qui succombent sont ceux qui le veulent bien. Certes l’état est tout autrement à craindre de la part de ceux qui l’offensent et ne reconnaissent point assez l’honneur qu’on leur fait en leur permettant de voter pour les favoris du système. Moins ses pouvoirs sont définis, et plus il est redoutable. A ses attributions très réelles et très étendues, il ajoute le fantôme des actes arbitraires et des vengeances qu’il pourrait se permettre. En Angleterre, rien de semblable : ce sont les classes, les opinions, les doctrines, qui, sur le terrain de la liberté, se disputent entre elles la victoire. Cette lutte des influences et des convictions ne rehausse-t-elle point d’ailleurs la vie des peuples qui mettent le courage au nombre des vertus politiques ? Le clergé est fort, l’aristocratie est forte ; eh bien ! La démocratie anglaise ne les craint point. Elle résiste, elle avance, elle triomphe. Ce qui, malgré le pouvoir de l’argent, malgré le prestige des croyances, est sorti cette fois des élections, ce qui en sortira toujours tant que l’Angleterre restera fidèle à la liberté, c’est le vœu sincère du pays.


II

Le parlement de 1865 fut dissous le 11 novembre 1863. Une proclamation de la reine annonce en pareil cas qu’il sera pourvu dans le plus bref délai à la formation d’une nouvelle chambre des communes. L’intervalle de quelques jours qui s’étend entre les deux