Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/990

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand nombre. L’Angleterre est libérale ; les dernières élections l’ont proclamé assez haut. D’un autre côté, c’est une nation pratique, et elle ne l’a point oublié en cette circonstance. Appuyée sur des institutions dont elle connaît la force tutélaire, elle ne cherche point à arracher aujourd’hui par une surprise ce qu’elle est assurée de conquérir tôt ou tard par l’ordre même des choses. Dans le duel entre M. Disraeli et M. Gladstone, les nouveaux électeurs ont tout de suite vu ce qu’il y avait au fond, la lutte entre deux systèmes politiques. Assurer la déroute du premier et la victoire du second, telle a été leur préoccupation dominante. Aussi tout fidèle adhérent du futur ministre, éprouvé par de longs services, fut-il adopté comme ayant plus de chances de succès que de jeunes et hardis braconniers chassant un peu trop sur les terres du voisin. Le pays avait une dette d’honneur à payer envers les anciens membres de la chambre des communes qui avaient préparé et emporté d’assaut le reform act. Qui donc oserait blâmer les nouveaux électeurs d’avoir sacrifié dans plus d’un cas leurs préférences, leurs intérêts ou leurs préjugés au triomphe d’un gouvernement libéral ? Ils ont couru, comme on dit, au plus pressé, et plût à Dieu que leur exemple fût suivi dans d’autres pays ! Beaucoup parmi ceux qui tournent aujourd’hui en dérision les espérances vaines et prématurées auxquelles donna naissance la nouvelle loi auraient été les premiers à pousser le cri d’alarme, si dès le début les candidatures significatives avaient été couronnées d’un grand succès. « On nous annonçait des ouvriers, où sont-ils ? » A ceux qui tiennent ce langage, on peut rappeler certains faits. Il s’en faut de beaucoup que le reform act de 1832 ait porté toutes ses conséquences dans les premières élections qui suivirent cette grave mesure. En Angleterre, l’opinion publique est lente à se mouvoir ; mais, une fois en marche, elle ne s’arrête plus qu’elle n’ait atteint son objet. Il importe assez peu de savoir pour qui ont voté les ouvriers aux élections de 1868 ; l’essentiel, c’est qu’ils ont voté. On les a vus rôder par groupes autour du poll ; beaucoup d’entre eux ont sacrifié toute une journée de travail à colporter les listes d’une maison à une autre ; leur enthousiasme éclatait à chaque victoire du parti libéral. Ils ont en outre fait preuve d’une grande discipline et d’une certaine abnégation. A Lambeth, après la retraite de M. Odger, il y avait lieu de craindre que les travailleurs ne s’abstinssent par ressentiment ou par indifférence ; ils montrèrent tous au contraire un vrai sens politique en donnant leurs suffrages à un candidat qui n’était point de leur choix. Les quelques efforts tentés pour séparer la classe ouvrière de la classe moyenne ont partout échoué misérablement. Les artisans ont résisté aux avis et aux ironiques doléances que leur prodiguaient les journaux