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conservateurs sur l’élimination de leurs candidats favoris. Les conseils d’un ennemi sont excellens quand on a le bon esprit de ne pas les suivre. On s’abuserait toutefois en croyant que les ouvriers anglais ont renoncé à leurs espérances, et qu’ils se contenteront toujours d’une représentation indirecte. Cette fois ils savaient trop bien où était le danger pour égarer leurs forces ; mais viennent des élections plus paisibles, où leur unique préoccupation ne soit point de sauver le drapeau du libéralisme, et ils insisteront très certainement pour faire entrer quelques-uns des leurs au parlement. Ne sont-ils point d’ailleurs encouragés dans leurs prétentions par des membres même de l’aristocratie ? Lord John Russell écrivait dernièrement qu’il regrettait beaucoup de ne point voir MM. Odger et Howell sur les bancs de la chambre des communes. La représentation du travail manuel est une de ces idées qui rencontrent des obstacles, mais qui finissent tôt ou tard par forcer la brèche en Angleterre. Qu’on veuille pourtant y prendre garde, bien qu’aimant à consulter toutes les classes sur leurs intérêts respectifs, nos voisins n’entendent nullement ouvrir une arène à d’égoïstes griefs, à un stérile antagonisme entre des professions diverses, et les ouvriers n’arriveront au parlement que couverts de la dignité d’une foi politique.

Il serait cruel d’arracher aux tories la seule consolation qui reste aux partis vaincus, celle de nier ou tout au moins d’atténuer leur défaite. Si l’on se bornait à compter les morts illustres, ils auraient certainement réussi dans quelques escarmouches ; mais quand ils parlent de leurs avantages dans les grandes batailles et les grandes villes, chacun se demande où sont ces victoires. Est-ce à Londres, à Birmingham, à Glasgow, à Sheffield ? Si l’on en excepte Liverpool, ils ne sont parvenus, dans les cités, à glisser par hasard l’un des leurs que grâce à la division des votes et à ce qu’on appelle minority clause, représentation des minorités[1]. Si c’est là ce que le conservateurs appellent un succès, on se demande naturellement ce qu’ils entendent par des revers. Dans les comtés de l’Angleterre, il est vrai, leurs prodigieux efforts ont été couronnés par la fortune du jour. Là du moins ils ont trouvé un centre d’action et infligé au parti libéral des pertes incontestables. Ce qui rend encore plus éclatante la défaite de M. Gladstone dans son comté natal, c’est qu’il avait tout, fait, du moins tout ce que peut l’éloquence, pour ébranler la coalition des intérêts. Ses harangues étaient plus

  1. Dans plusieurs endroits, il a fallu que les forces du parti libéral surpassassent d’un tiers les forces du parti conservateur pour que les candidats libéraux fussent élu » au parlement. Il y a tout lieu de croire que cette clause des minorités, si antipathique à M. Bright, sera rapportée dans la prochaine session.