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je me fie à mes souvenirs de Dresde, la note d’un certain patriotisme y résonne avec âpreté sur la corde d’airain. Comme cet ouvrage appartient à la première manière de l’auteur et se rapporte à une période où M. Richard Wagner n’avait pas encore inventé son système, on a dit que c’était de la musique italienne. — Italienne, non, mais bien plutôt italianissime. Espérons que la censure à ce sujet ne se montrera pas trop susceptible, et laissera passer sans chicane quelques cris révolutionnaires de situation, dont jamais du reste ne s’est émue, en Allemagne, la police d’aucun pays.

Suivre les théâtres et en discourir est une tâche qui parfois peut sembler oiseuse à ceux-là mêmes qui par goût se la sont imposée. Quelle besogne en effet que de venir raconter au public que cette année M. Tamberlick n’est pas en voix, et qu’il a suffi de deux représentations, l’une de la Sonnambula, l’autre du Barbier, pour faire tourner en complainte parisienne la légende dorée au procédé américain de la tant célèbre Minnie Hanck ! Aussi n’avons-nous jamais pu nous défendre d’un profond sentiment de respect et d’admiration pour cette critique sérieuse, éclairée et spécialement compétente qui solennellement se préoccupe en juillet de ce que le 11 décembre l’orchestre du Conservatoire a pris trop vite l’andante de la symphonie en ut mineur, et de ce que le 2 février les violons de Pasdeloup ont mis trop de furie dans l’attaque de la polonaise de Struensée. Et cependant ces choses en apparence très frivoles, et dont les esprits obstinément tendus vers les hauteurs, les intelligences qui ne désarment pas, prennent en pitié la minutie, tous ces détails ont leur importance dans le monde du théâtre. Ces observations d’un pédantisme si réjouissant, si elles n’ont pas sur le passé l’effet rétroactif que leurs naïfs auteurs s’imaginent, peuvent en définitive ne pas être absolument sans influence sur la manière dont les mêmes morceaux seront exécutés à l’avenir, si tant est toutefois qu’on les ait lues. D’ailleurs l’exécution dramatique et musicale d’une œuvre remarquable a bien aussi son intérêt, et quand il s’agit du Poliuto de Donizetti et que les interprètes sont Tamberlick et Mlle Krauss, on peut là-dessus insister à son aise. Tamberlick tient toujours en pleine possession ce beau rôle de Polyeucte qu’il a promené par toute l’Europe, et quoique sa voix ne soit plus ce que nous l’avons entendue, il le joue et le chante en maître. Quant à Mlle Krauss, je ne pense pas qu’il y ait eu au Théâtre-Italien une plus belle étude de l’héroïne cornélienne qu’elle représente. C’est de l’art pathétique, inspiré, du grand art. Si dans dona Anna comme dans Desdémone d’ineffaçables souvenirs se dressaient à côté d’elle, souvenirs qui d’ailleurs ne l’ont point écrasée, le rôle de Pauline lui appartient en propre. C’est là, dans le duo surtout, dans cet élancement de tout son être vers les « harpes angéliques, » qu’il faut aller l’entendre pour goûter la vraie émotion du drame lyrique. Le passage de Mlle Krauss au Théâtre-Italien marquera comme un exemple de ce que peut à la longue, sur le public