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autant de différence entre nos fusils à bascule et les vieux fusils à silex qu’entre ceux-ci et l’arc ou l’épieu des anciens. Sans compter l’avantage énorme de la rapidité multipliée du tir, on n’est plus arrêté par une ondée, par un orage, tandis qu’autrefois l’humidité seule rendait le mousquet inutile entre les mains de nos grands-pères. Or tout chasseur sait bien qu’aucun moment n’est pour lui plus propice qu’un temps de brouillard ou de pluie, mais encore faut-il que l’on puisse enflammer sa poudre.

Ce n’est pas là le seul grief que devraient reparler sur le progrès de l’industrie ceux, qui se plaignent de la disparition du gibier. L’usage des chemins de fer a, comme on dit, rapproché les distances, et du mois de septembre au mois de février les trains sont remplis de voyageurs enflammés d’ardeur belliqueuse qui vont s’abattre sur la plaine et les bois. Tout autour de Paris et des villes les plus populeuses, il n’est presque plus de chasse qui ne soit louée, et chèrement louée, à de joyeuses compagnies de négocians, d’avocats, de notaires, de gens de bureau. Beaucoup, de communes réservent, même à ces sortes de locations le droit de chasse sur tout leur territoire ; elles font bien, puisque de la sorte elles augmentent leurs revenus. Toujours est-il que ces bandes envahissantes agissent un peu comme en pays conquis : chevrettes, levrauts, poules faisanes, tout fait nombre, tout leur est bon. Là on ne connaît point la sollicitude attentive du chasseur propriétaire ; jamais l’idée ne vient d’épargner ou de repeupler. Et puis, ne laissons point passer l’occasion de protester contre la réputation injustement faite au chasseur parisien, si maltraité par la caricature. Malgré de classiques plaisanteries, le chasseur de Paris en vaut un autre, et si au bout du compte la plaine Saint-Denis ne connaît plus de lièvres, c’est grâce à lui.

D’autres ennemis du gibier se multiplient dans des proportions inquiétantes pour nos plaisirs : tels sont la belette, le putois, l’herminette, La fouine et les divers oiseaux de proie. Ce qu’il y a de singulier, c’est que la plupart sont protégés par la loi même de la chasse, car on ne peut guère détruire les petits mammifères carnassiers qu’à la tombée de la nuit et à l’affût, — double délit, comme chacun sait. Quant aux oiseaux de proie, voici qu’on les protège en les déclarant insectivores ; c’est un point sur lequel nous allons revenir. Puis il y a les chats, doués d’une vue, d’un flair, d’une adresse, que rien n’égale. M. Sclafer n’estime pas à moins de dix millions le nombre des chats qui sont élevés dans les fermes, dans les hameaux, dans les habitations isolées. C’est beaucoup peut-être, ; mais.il est certain qu’on doit leur reprocher de grands ravages. Avons-nous parlé des chiens errans, qui du soir jusqu’à l’aube relancent lièvres et lapins, renversent les nids, dévastent les couvées ?

Est-ce tout ? Non, certes, il faut compter encore les progrès de l’agriculture. « Les jachères n’existent plus, dit M. Sclafer ; nul repos à la terre ; partout le bruit du boyau ou de la cerfouette. ; on bêche même les taillis, on sarcle même les prairies. Les mots pâtis, garigues, champeaux,