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réfugiés les compagnons de Kara-George, les anciens voïvodes viennent rejoindre Milosch et reprendre le commandement de leurs districts. Ce n’étaient tout à l’heure que des bandes irrégulières, maintenant c’est une armée. Une bataille se prépare sous les retranchemens de Ljoubitz, une bataille qui durera plus d’un jour ; les Turcs, d’abord vainqueurs, ne réussissent pourtant pas à déloger les Serbes, et bientôt, effrayés de cette résistance, ils décampent pendant la nuit. Milosch les poursuit le sabre au poing, leur tue un grand nombre d’hommes, fait un large butin d’armes et de munitions. Il n’oublie pas toutefois que dans une telle entreprise, dans une lutte si disproportionnée, la politique doit venir en aide à la valeur guerrière. Demain peut-être ne sera-t-il pas conduit à traiter avec ceux qu’il combat ? Épouvanter l’ennemi par la vigueur de ses coups, c’est le premier devoir du chef ; il complétera son œuvre en lui inspirant du respect. Les témoignages des Turcs autant que les chroniques serbes ont célébré ici la générosité du vainqueur ; il prit le plus grand soin des blessés, les fit conduire en sûreté dans les villes voisines, empêchant que des représailles ne fussent exercées par les hommes dont les familles avaient subi les violences des musulmans. Les Turcs ayant déjà repris possession de ces contrées, il y avait bien des femmes parmi les prisonniers. « Ils nous ont traitées, disaient-elles, comme des mères, comme des sœurs. C’est une belle religion, celle qui inspire de tels sentimens. »

Le plus formidable des retranchemens élevés par les Turcs dès le début de l’insurrection était celui de Poscharevatz. C’est là qu’il fallait frapper les grands coups. Milosch prévoyait que l’affaire serait chaude ; il rassembla les principaux chefs et leur dit : « Si l’un de vous croit l’entreprise au-dessus de nos forces, il en est temps encore, qu’il retourne chez lui. Une fois la lutte engagée, que chacun marche à la tête de ses hommes. Quiconque lâcherait pied, chef ou soldat, mourrait de ma main. » Tous restèrent, et l’assaut commença. Quatre lignes de remparts protégeaient l’enceinte ; il fallut cinq jours pour les rompre. De part et d’autre, l’acharnement était le même. On se battait corps à corps, à la pointe du poignard, avec les ongles, avec les dents. La lutte fut terrible, surtout à la quatrième ligne, qui enveloppait l’église et la mosquée ; les deux bâtimens furent pris, repris, envahis de nouveau, et la vigueur de la défense égalait l’impétuosité de l’attaque. Enfin les Turcs cédèrent. Le chef demanda une conférence avec Dimitri, le secrétaire de Milosch, qu’il avait connu à Belgrade. « Affirme-nous, dit-il, que c’est bien Milosch en personne, Milosch le knèze du sultan, qui dirige l’attaque ; nous ne résisterons pas à Milosch. » Milosch se montra, et leur permit de quitter avec honneur la forteresse qu’ils avaient si vaillamment défendue. Il leur laissa leurs armes avec une