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maréchal il fut soudain rappelé en France par les offres brillantes qui venaient le trouver au fond de la Poméranie de la part du fondateur de la dynastie impériale. Attentif à décorer son nouveau trône de l’éclat des noms choisis parmi les illustrations de l’ancienne cour, Napoléon avait nommé le prince Maurice de Broglie aumônier de sa chapelle, se réservant de lui donner prochainement un siège épiscopal. Ce fut d’abord l’évêché d’Acqui en Piémont; mais, le séjour d’une ville voisine des Alpes étant funeste à la santé débile de M. de Broglie, Napoléon l’avait bientôt après appelé au siège beaucoup plus important et beaucoup plus recherché de Gand. M. de Broglie n’avait point été insensible à de si gracieux procédés. Ses lettres adressées à d’intimes amis témoignent que depuis 1804 jusqu’en 1809, époque de la captivité du saint-père, le titulaire du siège de Gand, quoique attristé par les façons d’agir de plus en plus impérieuses que le souverain auquel il s’était rallié appliquait au gouvernement des affaires de la religion, n’en était pas moins resté sincèrement attaché par principes et par goût au régime qui avait reçu ses sermens. La prise de possession de Rome et la séquestration du pape, sans avoir altéré sa fidélité politique, sans avoir provoqué de sa part aucune bruyante protestation, lui avaient toutefois donné beaucoup à réfléchir. M. de Broglie, avec des formes extrêmement douces, avait l’esprit ferme, le caractère plutôt rigide, et mettait un grand soin à conformer logiquement les moindres actes de sa vie aux scrupules peut-être un peu raffinés de sa conscience. Si c’était un tort, il devait alors paraître d’autant plus fâcheux qu’il était plus rare. L’empereur venait à cette époque de nommer l’évêque de Gand membre de la Légion d’honneur. Or il fallait prêter en cette qualité un serment dont la teneur imposait au récipiendaire l’obligation d’observer les lois de l’empire, et notamment celles « sur l’intégrité de son territoire. » Dans l’opinion de M. de Broglie, les derniers mots de cette formule semblaient impliquer la reconnaissance de l’usurpation des états du saint-siège. C’était là, pensait-il, un acte qui ne pouvait être exigé d’un évêque. Il rédigea dans ce sens un mémoire qu’il adressa au grand-chancelier avec prière de le mettre sous les yeux du chef de l’état. Le refus de prêter un serment exigé de tous les membres de l’ordre et la nature des motifs invoqués par son aumônier irritèrent profondément Napoléon. Il voulut voir M. de Broglie, se proposant d’essayer sur lui les forces de sa dialectique et la puissance de son ascendant personnel. Il croyait d’autant mieux y réussir que les courtoises manières de l’évêque de Gand lui avaient plus complètement dérobé ce qu’il y avait au fond de son caractère d’immuable opiniâtreté. M. de Broglie, sans entrer dans aucune discussion, pria l’empereur de vouloir bien l’excuser et d’avoir la bonté d’admettre