Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de toutes parts dans la capitale étaient animés sans doute des meilleures intentions; mais ils étaient inquiets, et ne savaient pas bien au juste ce qu’attendait d’eux le maître redoutable dont ils n’avaient jamais ouï prononcer le nom dans leurs lointains diocèses qu’avec une émotion mêlée à dose presque égale d’admiration et d’effroi. Par suite des derniers actes du chef de l’empire, c’était l’effroi qui menaçait de l’emporter aujourd’hui, et cet effroi, alors même qu’il se trahissait par des préoccupations peut-être un peu exagérées ou parfois puériles, l’empereur en était personnellement responsable. Doué de plus de zèle que de sagacité, son ministre de la police, le duc de Rovigo, faisait donc involontairement, comme l’événement l’a prouvé, la plus sanglante injure à son maître lorsque, d’un ton qu’il croyait agréable et qui n’était que sinistre dans sa bouche, il se raillait de la poltronnerie des évêques qui faisaient leur testament ou se recommandaient aux prières des fidèles de leurs diocèses avant de se rendre au concile de Paris.

Comme s’il ne lui suffisait pas en ce moment d’indisposer contre lui l’ensemble du clergé français, l’empereur, de plus en plus gouverné par ses fantaisies, ne crut pas inopportun de blesser profondément l’un des prélats les plus distingués de son empire, pour lequel il avait eu jusqu’alors les attentions les plus recherchées, dont la scrupuleuse fidélité ne faisait pas doute à ses propres yeux, et qui était destiné à jouer dans le prochain concile un rôle fort considérable. Nous voulons parler de l’abbé de Broglie, évêque de Gand.

Maurice de Broglie, second fils du maréchal de Broglie, frère du maréchal-de-camp qui commanda en 92 l’une des brigades de l’armée du Rhin et périt plus tard sur l’échafaud, avait été à cause de sa frêle constitution destiné de bonne heure par sa famille à la carrière ecclésiastique. Entré sans vocation bien particulière au séminaire de Saint-Sulpice, il était sorti de cette forte école sincèrement imbu des principes de la religion catholique et très versé dans les sciences sacrées. Ses tendances politiques, entièrement favorables au mouvement de 1789, le rapprochaient des opinions de son frère, qui siégeait à l’assemblée nationale dans les rangs de la minorité de la noblesse, beaucoup plus que de celles du vieux maréchal, sorti de bonne heure de France, et à qui le jeune séminariste, plein d’une ardeur civique, n’avait pas craint d’adresser une lettre chaleureuse pour le conjurer de rentrer dans sa patrie. Ce fut lui au contraire qui, par suite du triomphe du parti exalté, avait été obligé d’aller rejoindre son père en Allemagne. Il y avait reçu la prêtrise, et jouissait de la prévôté du chapitre de Posen, que lui avait conférée le roi Guillaume de Prusse, lorsqu’ après la mort du