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sous-races se pose tout entier. Faut-il voir dans nos pigeons les représentans de plusieurs espèces sauvages restées distinctes dans la nature, mais dont les descendans domestiques sont aujourd’hui confondus sous une dénomination commune parce que le souvenir de leur origine multiple est tombé dans l’oubli ? ou bien faut-il les accepter comme étant issus d’une seule espèce et comme différant au point que nous avons vu parce que les caractères primitifs de cette espèce se sont profondément altérés sous la pression des circonstances ? Buffon, Cuvier, s’étaient posé ces questions, et les avaient résolues dans le même sens. Tous deux avaient regardé le biset (columba livia) comme la souche principale de nos races colombines ; mais tous deux avaient cru ne pouvoir expliquer la multiplicité, la diversité de ces races que par l’intervention d’une ou de plusieurs autres espèces. Darwin n’a pourtant pas hésité à se prononcer en sens contraire, à affirmer que tous nos pigeons descendent du biset seul, et, pour quiconque aura suivi attentivement les raisonnemens et les faits apportés à l’appui de cette conclusion, il sera évident qu’elle est incontestable. C’est là un résultat des plus considérables. En mettant hors de doute que plus de cent formes animales transmissibles par voie de reproduction normale peuvent dériver d’une forme spécifique unique, Darwin a rendu à la science un service signalé, et que tous les naturalistes devront reconnaître pour tel, quelles que soient leurs opinions ou leurs théories.

Comment l’homme a-t-il transformé le biset en pigeon-paon, en grosse-gorge, en messager ? Éleveurs et naturalistes sont depuis longtemps d’accord sur ce point. La sélection, c’est-à-dire le choix des reproducteurs, a été le procédé universellement mis en usage. C’est elle qui depuis les temps les plus reculés a enfanté, on peut le dire, presque toutes nos races domestiques, et produit des résultats qu’il eût été impossible de prévoir au début. Bien longtemps avant notre ère, en Chine et en Palestine comme aujourd’hui au Groenland ou en Cafrerie aussi bien qu’en France et en Angleterre, l’éleveur a marié ensemble les individus de même espèce qui se distinguaient quelque peu de leurs frères et répondaient le mieux à ses besoins ou à ses caprices. À vrai dire, le sauvage, comme nos agriculteurs illettrés, agit sans but bien défini. Tout au plus les uns et les autres cherchent-ils à retrouver dans les fils les qualités des parens ; mais, guidés par les mêmes motifs, ils continuent à agir de même. De là il résulte qu’en vertu de la loi développée par Lamarck, et sur laquelle Darwin insiste avec juste raison, ils ajoutent sans s’en douter différences à différences. Les produits vont s’écartant de plus en plus du type primitif, et après un certain nombre de générations l’éleveur se trouve avoir créé une race parfaitement