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la triple alliance de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse comme l’unique garantie efficace de la paix, « La seule barrière réelle que nous avions anciennement, disait-il en 1859, était le front imposant de ces trois grandes puissances ; cela est fini. »

La guerre d’Italie ne lit qu’accroître ses inquiétudes. Il écrivait le 8 juin 1859 à son ministre plénipotentiaire à Berlin, M. Nothomb : « La lutte en Italie est rude ; son issue décidera de la suprématie de la France en Europe. On parle de localiser, cela est très bien ; mais la victoire dans ses effets ne se localise pas. L’avenir de l’Allemagne, le nôtre, se décideront cet été. » Plus tard, en 1863, il écrivait encore à M. Nothomb : « On ne peut pas se cacher que l’Europe est entrée dans une crise formidable, et il est d’une haute importance de la surveiller. » Sans doute le roi Léopold n’ignorait pas que la France et l’Allemagne appréciaient également toutes deux l’énorme avantage d’avoir leur frontière la plus vulnérable couverte par un état neutre. Il se plaisait à rappeler qu’en 1840, au moment où l’on craignait une guerre générale, M. Thiers avait montré que la royauté belge était la médiatrice naturelle et impartiale dans les conflits qui pouvaient mettre aux prises l’Allemagne, la France et l’Angleterre. Il savait aussi que les hommes d’état allemands étaient d’avis que les provinces belges ne pouvaient échoir à aucune grande puissance sans rompre aussitôt l’équilibre existant ; mais n’avait-il pas écrit ce mot si plein de sens : la victoire dans ses effets ne se localise pas ? En supposant un puissant état définitivement victorieux, qui donc mettrait des bornes à ses désirs d’agrandissement ? Pour écarter de pareilles éventualités, il croyait pouvoir compter sur l’Angleterre. Cette puissance avait, pensait-il, le plus grand intérêt à défendre l’indépendance de la Belgique, et, descendue sur le continent, elle y trouverait pour alliée soit l’Allemagne contre la France, soit la France contre l’Allemagne. Ce qu’il fallait donc dans cette hypothèse, c’était un lieu de débarquement assez bien fortifié pour être à l’abri d’une invasion soudaine, et où l’armée belge pût attendre l’arrivée de l’armée anglaise. On a prétendu que Léopold avait voulu seulement se faire construire à grands frais un refuge pour se mettre à l’abri, lui, sa famille et ses trésors. Cette puérile explication aurait eu un sens au moyen âge, où les rois prisonniers devaient payer rançon ; mais aujourd’hui les souverains détrônés ont grand intérêt au contraire à se laisser prendre, car l’année 1866 nous a montré qu’en leur enlevant la couronne on ne leur marchandait point les millions. Ce qui est vrai, c’est qu’Anvers était sur le continent une tête de pont destinée à permettre aux Anglais de déboucher en cas de besoin. L’Angleterre était le pivot de la politique extérieure de Léopold, non parce