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la famille, mais apparemment on ne défendra à personne de se marier, et quant aux adversaires du mariage, ils n’attendent pas la réforme, à en juger d’après le nombre croissant des enfans naturels. Contre les attaques de la parole et de la plume, la société doit se défendre elle-même, car le gouvernement ne peut le faire qu’en lui ôtant la liberté, et alors elle se retourne contre lui. L’ébranlement de 1848 ne s’est communiqué ni à l’Angleterre, ni à la Suisse, ni à la Belgique. Un député belge en a dit un jour la raison. « Pour faire le tour du monde, s’écria-t-il, la liberté n’a pas besoin de passer par chez nous. »

Un autre avantage du régime constitutionnel fondé en Belgique, c’est que Léopold a été élu par la nation, tandis que Louis-Philippe n’avait été investi de la couronne que par quelques parlementaires sans mandat à cet effet. Certes le duc d’Orléans avait le pays pour lui, et, s’il avait consulté les électeurs, il aurait eu la presque unanimité des voix, comme l’a affirmé Lafayette. Il est d’autant plus regrettable que le pouvoir ne lui ait pas été décerné par le suffrage populaire. C’eût été un malheur, dit M. Guizot, car, l’élection remplaçant la nécessité et le contrat, le principe républicain prenait, sous un nom royal, possession du pays. Mais de quel poids pèsent aujourd’hui ces subtiles distinctions au milieu de ce profond mouvement démocratique qui pénètre partout, et quelle force Louis-Philippe a-t-il puisée dans la semi-légitimité dont il pouvait se prévaloir ? Il n’avait pas le droit de dire comme Léopold : « Nul pouvoir n’est plus légitime que le mien, car il a sa source dans la volonté nationale. » Le peuple français, ayant reconquis la disposition de lui-même, pouvait croire qu’on avait à tort décidé de son sort sans le consulter. Le droit exerce encore un tel empire sur les hommes que son apparence même donne au parti qui l’invoque une force singulière. Si aux républicains on avait pu opposer la volonté du pays librement exprimée, ils auraient sans doute pu travailler à la changer ; mais l’insurrection eût été sans excuse et sans issue. — L’élection est un titre ou en est au moins le semblant ; la légitimité n’est qu’une superstition. C’est un mot dont les peuples ne comprennent plus le sens. Il peut encore tourner la tête et fausser les idées de ceux qui s’en prévalent. Il n’a plus la puissance ni de désarmer une opposition ni de conjurer un péril.

Voici une autre différence encore entre les deux établissemens constitutionnels de France et de Belgique. La révolution de juillet a été faite contre le clergé, et celui-ci lui a été hostile. La révolution de septembre a été faite en grande partie par le clergé et pour le clergé, de sorte qu’il lui a été favorable. C’est un point d’importance. Jusqu’à présent, le gouvernement parlementaire ne semble pas pouvoir s’établir d’une façon stable dans les pays catholiques.