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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/306

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La raison en est évidente, et le contraire aurait lieu d’étonner. Le chef infaillible de l’église ayant déclaré que les libertés modernes sont incompatibles avec les traditions et les dogmes du catholicisme, ces libertés ne peuvent s’établir que si l’influence du clergé diminue, et plus celui-ci sera puissant, plus elles seront menacées. On arrive ainsi à une situation sans issue, car si, pour faire triompher les institutions modernes, on attaque l’église, le sentiment religieux s’affaiblit, et sans lui, comme le dit Tocqueville, la liberté tourne en licence et marche à sa ruine[1]. La Belgique a eu cette chance unique d’avoir, pour contribuer à sa fondation, des catholiques que les doctrines de Lamennais et de M. de Montalembert avaient transformés en amis sincères des institutions libres. C’est en vain que la papauté, par l’encyclique de 1832 et par le Syllabus, a condamné leurs généreuses doctrines, en leur montrant qu’elles sont en opposition formelle avec les décisions des conciles et la tradition constante de l’église ; ces hommes de 1830 ne se sont pas révoltés comme Lamennais, mais ils sont restés fidèles aux erreurs de leur jeunesse. Les générations nouvelles, instruites avec plus de soin, se montreront probablement les organes plus conséquens des idées de Rome ; mais l’inspiration première durera probablement encore assez longtemps pour qu’on puisse conjurer le péril. L’établissement de juillet n’a pas eu cette fortune. Du commencement à la fin, il a eu contre lui l’hostilité latente ou déclarée du clergé. Ç’a été certainement pour lui une grande cause de faiblesse.

Les propensions belliqueuses du peuple français ont été aussi une source de cruels embarras pour la monarchie de juillet. Les partisans du progrès poussaient sans cesse à la guerre, et ne pardonnaient pas au roi de ne pas se ruer sur l’Angleterre pour les différends les plus insignifians. Ils oubliaient que la paix seule, en répandant les lumières et le bien-être, hâte l’émancipation des classes inférieures et le triomphe de l’égalité. Louis-Philippe, en résistant à leurs objurgations, on l’avoue aujourd’hui, a bien mérité de la civilisation. Ceux qui ont le plus fait pour la démocratie, c’est le ministre de l’instruction publique qui a fait voter la loi de 1833, et celui qui s’efforce aujourd’hui de répandre davantage encore l’enseignement populaire, il est regrettable pour un peuple et pour ses voisins que le héros chanté par ses poètes, immortalisé par ses artistes, presque divinisé par ses souvenirs, soit un guerrier, surtout quand le respect du droit et le sentiment moral lui faisaient défaut. Louis-Philippe, ce courageux champion de la paix, en favo-

  1. Dans le livre intitulé New-America, et dont M. Montégut a fait un si piquant compte-rendu (voyez la Revue du 1er mai 1868), M. Dixon, que les principes dogmatiques n’obsèdent pas, répète la remarque de Tocqueville et donne à la grandeur des États-Unis deux sources : le sentiment religieux et l’amour de la liberté.